Les effets des peines minimales obligatoires sur la criminalité, la disparité des peines et les dépenses du système judiciaire
4. La dissuasion est-elle possible? (suite)
4. La dissuasion est-elle possible? (suite)
4.3 Éléments d'appréciation relatifs à la dissuasion et à la neutralisation
La recherche sur les effets de dissuasion et de neutralisation des sanctions en général peut éclairer dans une certaine mesure les effets de prévention à espérer des PMO. Une des questions qui se posent dans ce contexte est celle de savoir si les peines minimales sont infligées systématiquement dans les faits et accroissent par conséquent la certitude de la sanction. De plus, dans l'hypothèse où les PMO font augmenter la durée des peines, les délinquants en puissance ou en acte prennent-ils en considération la différence entre, par exemple, une durée d'emprisonnement de cinq ans et une autre de sept ans dans leur décision de commettre un crime? On appelle moyens de dissuasion générale les sanctions judiciaires qui détournent de la délinquance l'ensemble de la population, et moyens de dissuasion spécifiques celles qui dissuadent les délinquants en acte de récidiver. Il y a également lieu de se demander si les longues peines gardent dans la durée leurs effets de prévention par neutralisation, ou si au contraire leur rendement ne décroît pas à mesure que vieillissent les sujets neutralisés et que les remplacent d'autres délinquants sur le marché du « travail » illicite.
4.3.1 La dissuasion
Il existe une volumineuse bibliographie sur ces questions. On a constaté que les sanctions pénales produisent dans une certaine mesure des effets de dissuasion et de neutralisation (Commission canadienne sur la détermination de la peine, 1987; Nagin, 1998); cependant, ces effets varient en fonction de nombreux facteurs, notamment les suivants :
- La nature du délit. Il se pourrait que les effets de dissuasion dépendent de la nature du délit. C'est ainsi qu'une étude a établi que l'accroissement de la certitude d'être arrêté avait fait baisser le taux de vol avec effraction, mais que les efforts de la police n'avaient eu aucun effet sur les taux de vol simple (Zedlewski, 1983).
- La population cible. Le rapport entre la certitude de la sanction et le taux de criminalité peut aussi varier en fonction des antécédents criminels ou de la race (Greenfield, 1985; Wu et Liska, 1993). Les criminels endurcis et ceux qui ont déjà été punis sont moins susceptibles que les autres d'être dissuadés par la menace de sanction, et chaque groupe ethnique ou racial a tendance à réagir à la probabilité d'arrestation de ses propres membres plutôt qu'à celle des membres de l'ensemble de la société.
- Les interdits moraux associés au délit. Les sujets qui éprouveraient de la honte ou de l'embarras par suite de leur participation à un délit donné sont moins susceptibles que les autres de le commettre (Grasmick, Bursik et Arneklev, 1993).
- La connaissance de la sanction applicable. La population est peu informée sur la nature et le degré de rigueur des sanctions pénales, notamment sur les PMO et les délits qui en sont passibles (Commission canadienne sur la détermination de la peine, 1987). Pour exercer un effet marginal de dissuasion, une modification de la législation telle que l'institution d'une PMO doit évidemment être connue du public.
- La certitude de la sanction. Certaines études révèlent que le taux de criminalité baisse avec l'accroissement de la probabilité d'arrestation (Tittle et Rowe, 1974; Marvell et Moody, 1996).
- La promptitude de la sanction (Howe et Brandau, 1988). Si l'on a accumulé peu de données concernant ce facteur, les théories de l'apprentissage donnent à penser que plus rapidement la sanction suivra le crime, plus sera faible la probabilité de récidive.
- La rigueur de la sanction. S'il est vrai que certaines études attribuent un effet de dissuasion aux sanctions rigoureuses (Green, 1986), les résultats de la recherche sur ce facteur sont peu concluants dans le meilleur des cas.
- La perception du risque de subir la sanction (Klepper et Nagin, 1989). En général, on est d'autant moins susceptible de commettre un acte criminel qu'on croit risquer d'être pris et puni.
Les nombreux facteurs dont dépend l'effet hypothétique de dissuasion des sanctions pénales invalident les thèses simplistes et les généralisations hâtives affirmant l'existence ou l'inexistence d'un tel effet. Les éléments d'appréciation liés à la question de la dissuasion sont à la fois très complexes et très insuffisants. Par conséquent, les thèses extrêmes voulant que les sanctions pénales soient dépourvues de tout effet de dissuasion ou que tout le monde soit accessible à la dissuasion sont à mettre au compte de positions idéologiques très arrêtées plutôt que d'un examen des données empiriques.
La recherche sur la certitude des peines aussi bien que sur leur sévérité est applicable à la question des PMO. Or, les résultats de cette recherche considérés dans leur ensemble donnent à penser que la sévérité pourrait être moins importantes du point de vue de la dissuasion que les initiatives renforçant la certitude de la sanction (Miller et Anderson, 1986; von Hirsch et coll., 1999). En fait, ces facteurs agissent souvent en sens contraire l'un de l'autre; il arrive en effet que les intervenants du système de justice pénale tournent les lois qu'ils estiment d'une sévérité excessive, soit en ne déposant pas d'accusations, soit en se refusant à condamner des délinquants reconnus coupables (Ross, 1982). Par conséquent, l'excès de sévérité des peines peut compromettre la certitude de la sanction en réduisant le risque d'incarcération. Inversement, l'accroissement de la certitude de l'emprisonnement peut entraîner en compensation une réduction de la durée des peines. Les auteurs d'une étude américaine sur l'incarcération dans six États ont constaté la réalisation empirique de cette dernière possibilité à propos des infractions liées à la drogue et des vols qualifiés (Cohen et Canela-Cacho, 1994). Comme la capacité des prisons est invariablement limitée, l'augmentation du taux d'incarcération pour une catégorie donnée de délinquants peut nécessiter l'infliction de peines de moindre durée ou des libérations anticipées pour d'autres catégories. Il y a peut-être d'importantes conclusions à tirer de ce fait pour ce qui concerne les PMO.
Comme les PMO s'appliquent souvent aux récidivistes, la recherche sur la dissuasion spécifique, c'est-à-dire la mesure dans laquelle les délinquants connus réagissent à la menace et à l'expérience de la peine, est particulièrement topique. Les taux élevés de récidive que l'on constate en général chez les anciens prisonniers et les études concernant les effets des peines carcérales sur les jeunes délinquants n'incitent guère à l'optimisme dans l'évaluation des effets de dissuasion spécifique (Siegel et McCormick, 1999). L'effet de dissuasion spécifique peut être limité, mais il n'est pas pour autant nul. Ainsi une étude sur d'ex-professionnels du vol à main armée qui avaient abandonné cette voie révèle que le désir d'éviter d'être incarcérés de nouveau était l'un des facteurs clés de leur décision (Gabor et coll., 1987). Il peut donc arriver un moment où certains délinquants du moins se lassent de risquer l'emprisonnement et les privations qui l'accompagnent.
Une enquête menée auprès de 1 000 personnes condamnées pour actes délictueux graves donne à penser que même les auteurs d'infractions majeures ne deviennent pas complètement insensibles aux effets des sanctions pénales (Horney et Marshall, 1992). Il ressort de cette étude que les répondants déclaraient percevoir des risques d'autant plus grands qu'était élevé leur ratio d'arrestation (c'est-à-dire le rapport des arrestations autodéclarées aux délits autodéclarés), ce qui montre que même les délinquants caractérisés peuvent apprendre de leur expérience criminelle. De même, on a constaté que les sujets estimant risquer beaucoup à violer la loi commettaient d'autant moins de crimes (Nagin, 1999).
La sensibilisation de la population aux sanctions est aussi une condition essentielle de leur valeur de dissuasion. On ne peut être dissuadé par une sanction dont on est mal informé. Les recherches de la Commission canadienne sur la détermination de la peine (1987) donnent à penser que le public canadien n'est pas suffisamment informé des lois et pratiques relatives à la détermination de la peine, en particulier pour ce qui concerne les PMO. Un bon exemple de cette ignorance est l'affaire Latimer, où le jury ne savait pas que le meurtre, au Canada, est passible d'une peine obligatoire d'emprisonnement à perpétuité.
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