Les engagements à ne pas troubler l'ordre public et la violence contre les femmes : une étude de site des effets du projet de Loi C-42 sur la procédure, la demande et l'exécution

10. Winnipeg

10. Winnipeg

Capitale de la province du Manitoba, Winnipeg est située au carrefour des rivières Rouge et Assiniboine, soit presque au centre géographique de l'Amérique du Nord. Présentant une population dont les origines ethniques sont très variées, Winnipeg se caractérise par une croissance lente mais régulière. Il s'agit de la huitième plus grande ville du Canada et elle est au cœur de l'économie du Manitoba. Autrefois comptoir commercial de la Compagnie de la Baie d’Hudson, Winnipeg est devenue le centre céréalier du continent américain en raison de sa position géographique. Selon les estimations actuelles, Winnipeg compte 629 700 habitants. Le Service de police de Winnipeg emploie 1 179 policiers et 299 civils. En 2000, ce service a traité 13 547 « appels pour problèmes familiaux ».

Winnipeg est également connue pour être dotée d’un des systèmes de réponse à la violence familiale les plus complets du Canada, comprenant le Tribunal de la violence familiale, qui nous a fourni la plupart des données et des analyses nécessaires à la rédaction de cette section.

10.1 Contexte, traitement et exécution

La tolérance zéro à l'égard de la violence contre les femmes dans la province du Manitoba a entraîné une baisse du nombre d'engagements de ne pas troubler l'ordre public dans les cas de violence familiale. La politique actuelle stipule que les services de police doivent, en priorité, procéder à une arrestation pour voies de fait, s'il existe des motifs raisonnables et probables de le faire. En l'absence de tels motifs, le policier pourra envisager d'encourager la victime à demander un engagement de ne pas troubler l'ordre public ou, plus probablement, une ordonnance d'interdiction de communiquer:

…si nous pouvons porter accusation, alors nous le faisons de préférence, ce ne doit pas être perçu comme une option. Notre politique à l'égard de la violence familiale est la tolérance zéro, n'est-ce pas? Néanmoins, il nous faut avoir des motifs probables de penser qu'une infraction a été commise, tolérance zéro ou pas. S'il s'agit d'une affaire dans laquelle la probabilité d'engager des poursuites judiciaires est nulle, on s'oriente vers un engagement de ne pas troubler l'ordre public. (Policier – Manitoba)

…nous déposons une demande d'engagement de ne pas troubler l'ordre public dans le cas de litiges domestiques ou de situations de harcèlement avec menaces, c'est à dire lorsqu'une personne craint pour sa sécurité personnelle et non pour ses biens. Si nous ne pouvons pas porter accusation, faute d'éléments suffisants, et s'il est possible d'introduire une demande d'engagement de ne pas troubler l'ordre public devant un juge de paix, alors il ne faut pas hésiter, il faut prendre une mesure. (Policier – Manitoba)

À l'instar de la situation en Ontario et en Nouvelle Écosse, en cas d'accusation de voies de fait, le contrevenant est relâché sous certaines conditions, ce qui fait office d’ordonnance d'interdiction de communiquer provisoire jusqu'à la tenue du procès :

Eh bien, pas beaucoup. Je pense qu'il faut aussi tenir compte du fait que, dans la province du Manitoba, quand une personne est accusée, d’un délit, de voies de fait ou de proférer des menaces allant dans ce sens, une ordonnance est automatiquement rendue afin d'interdire tout contact avec la personne menacée. Le tribunal rend une ordonnance d'interdiction de communiquer ou assortit la fin de la garde à vue d'une série de conditions. Ainsi, on prononce une ordonnance de protection, sur la base de l'accusation qui est portée. (Travailleuse de refuge – Manitoba)

Selon certaines sources, le recours aux engagements de ne pas troubler l'ordre public dans les cas de violence familiale est le plus fréquemment observé au moment du procès. Le défendeur contracte volontairement un engagement en vertu de l'article 810, dans le cadre d'une solution négociée à l'amiable ou de la peine à purger :

On utilisera un engagement de ne pas troubler l'ordre public sous certaines conditions si et seulement si un plaignant accepte de retirer les accusations et si les deux parties conviennent d'un engagement de ne pas troubler l'ordre public pour une période d'un an. Les engagements de ne pas troubler l'ordre public sont limités en termes de durée. (Travailleuse de refuge – Manitoba)

Dans de nombreux cas où les engagements de ne pas troubler l'ordre public sont considérés comme un recours judiciaire possible dans une affaire de violence familiale, la procédure semble commune aux trois juridictions, dont Winnipeg :

La personne dépose une demande auprès du magistrat de la cour provinciale, dépose une dénonciation, puis le défendeur se voit signifier cette demande d'engagement de ne pas troubler l'ordre public et s'il ne conteste pas, la procédure s'arrête là et l'engagement entre en vigueur. Si le défendeur conteste la demande, une audience est tenue au niveau de la cour provinciale, devant un juge de cette même juridiction, afin d'accéder ou non à la demande d'un engagement de ne pas troubler l'ordre public. (Procureur de la Couronne – Manitoba)

À notre niveau, dès que nous entendons une affaire, nous procédons à la divulgation. La Couronne devient le plaignant. (Policier – Manitoba)

Tant que l'engagement de ne pas troubler l'ordre public n'est pas contesté, un(e) conjoint(e) battu(e) peut bénéficier d'une ordonnance rendue, en son nom, dans un délai de quelques semaines. Cependant, si le défendeur ne peut être localisé ou décide de contester l'engagement, la procédure se ralentit considérablement :

Leur adresse est erronée, on ne peut pas les trouver ou ils ignorent délibérément l’assignation. Si nous pensons que c'est le cas, nous délivrerons un mandat d'arrêt. S'ils ont été assignés à comparaître, mais qu'ils ne comparaissent pas, alors soit c’est annulé parce qu’ils n’ont pas été contactés personnellement, soit un mandat d'arrêt est délivré à leur encontre. (Juge de paix – Manitoba)

Dans les affaires de violence familiale, l'obtention d'un engagement de ne pas troubler l'ordre public peut impliquer soit l'intervention de la police, soit une médiation entre le défendeur et la requérante:

La procédure se déroule de la manière suivante : les services de médiation assistent au procès, le prévenu est cité à comparaître devant le tribunal, nous rédigeons une dénonciation que la requérante confirme sous serment. Par la suite, nous résumons les informations contenues dans l'acte d'accusation pour en extraire l'essentiel. Nous procédons à une déclaration sous serment de la requérante, laquelle valide l'acte ainsi rédigé, afin qu'il puisse être saisi par les tribunaux dans un délai de deux semaines, pour autant que le défendeur ou le prévenu ait été effectivement assigné à comparaître. Une fois l'affaire portée devant les tribunaux, les services de médiation se réunissent en dehors de la salle d'audience, essayent de parvenir à une solution à l'amiable, à savoir une volonté des deux parties de contracter un engagement de ne pas troubler l'ordre public, d'interdire tout contact, toute communication, les conditions habituelles en somme. Si l'une des parties refuse cette solution, les deux parties retournent devant le tribunal et le juge essaye une fois de plus de jouer les médiateurs. (Juge de paix – Manitoba)

… on est devant une situation qui doit être résolue et, parfois, nous orientons les gens vers les services de police s’ils ont déjà été en contact avec ceux–ci, car il arrive souvent que les policiers se rendent sur les lieux d'un incident, discutent avec les personnes concernées et parviennent à apaiser la situation. Ou alors, on passe par la médiation ou un système de ce genre. (Juge de paix – Manitoba)

En tout cas, le recours aux engagements de ne pas troubler l'ordre public en vertu de l'article 810, dans les affaires de violence familiale à Winnipeg n'est pas l'option privilégiée, tout particulièrement en guise de premier contact avec le système judiciaire. Les engagements de ne pas troubler l'ordre public à Winnipeg (ainsi qu'à Halifax et à Hamilton) sont essentiellement considérés comme des instruments utiles dans les litiges entre voisins :

… ma première expérience avec les engagements de ne pas troubler l'ordre public concernait des litiges entre voisins ou des altercations de café entre personnes n'entretenant aucune relation familiale. En fait, j'ai pu juger de l'utilité de ces engagements. Je ne peux pas dire qu'il en soit de même dans les affaires de violence familiale... (Policier – Manitoba)

Dans les affaires de violence entre partenaires, les engagements de ne pas troubler l'ordre public sont perçus comme étant beaucoup moins utiles. D'ailleurs, les ordonnances de protection d'urgence dans les cas de violence familiale sont davantage utilisées, conformément à la Loi sur la violence familiale et la protection, la prévention et l'indemnisation en matière de harcèlement criminel (1999) du Manitoba :

Non, je ne conseillerais à personne de demander un engagement de ne pas troubler l'ordre public. La seule fois où j'ai eu recours à un engagement de ce type était une affaire où l'on essayait de suspendre les accusations et de convaincre les deux parties de contracter un engagement de ne pas troubler l'ordre public. C'est la seule fois où j'ai pu observer qu'un engagement de ne pas troubler l'ordre public était pris. (Travailleuse de refuge – Manitoba)

Exactement, une ordonnance de protection est essentiellement un instrument à utiliser en cas de violence familiale et c'est ce pourquoi elle est utilisée, alors qu'un engagement de ne pas troubler l'ordre public couvrirait tout type de violence en quelque sorte. Mais imaginons que vous portez votre affaire devant les tribunaux et que vous demandez l’imposition d'un engagement de ne pas troubler l'ordre public à l'encontre de votre époux, vous ne l'obtiendrez pas, vous obtiendrez une ordonnance de protection. (Policier – Manitoba)

Néanmoins, même avant l'adoption récente de la législation provinciale relative à la violence familiale, la plupart des travailleuses de refuge du Manitoba signalent que les femmes violentées utilisaient les ordonnances provinciales interdisant de molester, rendues par les tribunaux de la famille :

Par conséquent, les engagements de ne pas troubler l'ordre public ne sont pas des ordonnances utilisées par la plupart des femmes. À des fins de protection, la plupart des femmes que nous accueillons préfèreront les ordonnances interdisant de molester ou les ordonnances d'interdiction de communiquer, d'autres opteront pour des mesures plus récentes, telles que les nouvelles ordonnances de protection ou s'adresseront à leur avocat pour obtenir une ordonnance de prévention. L'engagement de ne pas troubler l'ordre public est généralement utilisé, du moins la seule fois où nous l'avons observé, dans le cas d'un membre de la famille ou d'un partenaire par rapport à un conjoint ou un époux. S'il s'agit d'un conjoint, nous conseillons toujours aux femmes qui viennent nous voir d’obtenir la nouvelle ordonnance de protection ou de prévention. (Travailleuse de refuge – Manitoba)

…il est rare d'observer des engagements de ne pas troubler l'ordre public, la plupart de nos clientes ont besoin d'être réellement protégées et nous ne leur conseillerions pas un tel engagement, hormis dans le cas d'un parent éloigné ou d'un membre d'une bande, alors là, oui, on recommanderait un engagement de ne pas troubler l'ordre public. (Travailleuse de refuge – Manitoba)

Enfin, une récente tendance dans le recours aux engagements de ne pas troubler l'ordre public au Manitoba (et que l'on retrouve également en Ontario) a trait à l'utilisation grandissante de ces engagements afin de suivre à la trace et de surveiller les contrevenants à haut risque sur le point d'être libérés :

… c'est un groupe sous la tutelle de la province et cela concerne les délinquants sexuels. C’est un groupe provincial qui veut aviser la collectivité. Voici ce que nous faisions si un délinquant sexuel était sur le point d’être libéré pour réintégrer son quartier d'origine et qu'il y avait un risque qu'il récidive. Un programme était élaboré, des affiches étaient placardées, ou d'autres mesures du genre étaient prises. En raison des différents problèmes auxquels nous sommes confrontés, au sein de la Gendarmerie royale du Canada et en vertu de la Loi fédérale sur la protection des renseignements personnels, nous envisageons maintenant les engagements de ne pas troubler l'ordre public et nous allons discuter avec ces contrevenants, dans la mesure du possible, avant leur libération et, dans bien des cas, ils acceptent de contracter un engagement de ne pas troubler l'ordre public avant de bénéficier d'une libération d'office. (Policier – Manitoba)

Nous disposons d'une unité spéciale pour délinquants à risque élevé qui se charge des poursuites menées contre les contrevenants à haut risque de toutes sortes et, dans la plupart des cas, cette unité dépose une demande d'engagement de ne pas troubler l'ordre public si la personne sort de prison et qu’elle n’a suivi aucun traitement. (Procureur de la Couronne – Manitoba)

Nous traitons davantage les délinquants à risque élevé. Notre objectif, une fois que nous aurons pleins pouvoirs pour agir, sera de mettre en œuvre un système de signalement au niveau provincial. Et les personnes que nous soumettons aux engagements de ne pas troubler l'ordre public sont des délinquants à risque élevé. Cela n'écarte pas les cas de voies de fait contre un membre de la famille car certains individus se classent dans cette catégorie, mais à dire vrai, ils sont peu nombreux. (Procureur de la Couronne – Manitoba)