Les engagements à ne pas troubler l'ordre public et la violence contre les femmes : une étude de site des effets du projet de Loi C-42 sur la procédure, la demande et l'exécution
11. CONCLUSIONS GÉNÉRALES (suite)
11. CONCLUSIONS GÉNÉRALES (suite)
11.4 Problèmes liés à l’exécution
Tout au long du présent document, nous avons indiqué que les politiques de tolérance zéro avaient rendu les engagements de ne pas troubler l’ordre public de moins en moins appropriés dans les cas de violence familiale. La décision de ne pas recourir aux engagements de ne pas troubler l’ordre public est principalement due aux politiques d’arrestation et d’inculpation obligatoires, qui préfèrent qu’un suspect soit inculpé lorsqu’il existe des motifs raisonnables et probables de le faire :
La tolérance zéro a éclipsé tous les changements qui ont été apportés à la législation. (Juge – Nouvelle Écosse)
Je pense que de manière générale, la tolérance zéro est plus efficace que les engagements de ne pas troubler l’ordre public. (Policier – Nouvelle Écosse)
Ce que je veux dire, c’est que la politique de mise en accusation par les policiers est (inaudible) mais c’est différent avec les voisins si la police a un pouvoir discrétionnaire même avec les voisins elle peut se déplacer. Même s’il existe des motifs raisonnables de croire que des voies de fait mineures ont été commises elle peut décider de ne pas porter accusation. (Procureur de la Couronne – Manitoba)
Oui. Si quelqu’un me téléphone, et nous recevons bel et bien des appels anonymes, et si la personne ne veut pas que la police intervienne, si elle ne veut avoir à faire à la police pour une raison quelconque, ou si elle est effrayée par le système judiciaire, dans ce cas, je lui recommanderai d’obtenir un engagement de ne pas troubler l’ordre public. Parce que si nous ne parvenons pas à les convaincre de venir demander l’aide de la police, je ne veux pas laisser ces personnes s ans aucune autre possibilité. Donc, je suggérerai d’obtenir un engagement de ne pas troubler l’ordre public ou une ordonnance d'interdiction de communiquer auprès d’un tribunal de la famille. Mais en premier lieu je suggérerai de faire intervenir la police, particulièrement si je connais les détails des faits. (Policier – Ontario)
Recourir à un engagement de ne pas troubler l’ordre public signifie que vous n’engagez aucune poursuite pénale, et les initiatives de lutte contre la violence familiale incluent un système de poursuites amélioré ce qui signifie que nous n’utiliserions l’engagement de ne pas troubler l’ordre public que dans des situations exceptionnelles et que dans la plupart des cas, nous devons engager des poursuites s ans réserve. (Procureur de la Couronne – Ontario)
En outre, en raison du recours de plus en plus fréquent à des ordonnances d'interdiction de communiquer ou, plus récemment, aux ordonnances de protection d’urgence conformément à la législation provinciale sur la violence familiale, il est peu probable que les engagements de ne pas troubler l’ordre public soient considérés comme une option viable pour les femmes violentées:
Grâce à la Loi sur la protection contre la violence familiale, si nous nous rendons dans une maison et qu’il n’existe aucune accusation mais que nous constatons que la femme se trouve dans une situation très dangereuse, nous pouvons appliquer cette Loi, ou au nom de celle-ci, demander une ordonnance afin d’obliger l’autre partie à quitter le domicile, mais nous ne pouvons jamais porter accusation. Donc, penser à cela et aux problèmes des droits de la personne et autres questions, ce n’est pas totalement raisonné ni réfléchi. Mais c’est pour bientôt. Je crois que la troisième lecture est déjà terminée, il reste juste la proclamation. (Policier – Ontario)
Les policiers hésitent également à faire respecter les engagements de ne pas troubler l'ordre public dans les cas de violence familiale lorsqu’ils croient que la requérante a accepté un contact et/ou une visite à son domicile contrairement aux dispositions de l’ordonnance. Qu’il s’agisse de faits juridiques ou de fiction, les policiers estiment que la requérante a l’obligation de respecter les termes de l’ordonnance. D’autres professionnels de la justice font état du même problème:
… ce qui arrive à bon nombre de nos clientes, c’est que celles-ci obtiennent une ordonnance de protection ou une ordonnance de prévention, lesquelles sont à vie. Or si la cliente se réconcilie avec son conjoint, et que quelque chose arrive, la femme a parfois été inculpée parce qu’elle avait une ordonnance disant qu’elle ne devait avoir aucun contact avec lui. Donc souvent nous devons indiquer à nos clientes qu’en cas de réconciliation avec leur conjoint, elles doivent essayer d’obtenir l’annulation de l’ordonnance. Or si elles obtiennent cette annulation, cela peut augmenter les risques qu’elles courent, tandis qu’un engagement de ne pas troubler l’ordre public, au Manitoba en tout cas, ne reste en vigueur que pendant un an. (Travailleuse dans un refuge – Manitoba)
Lorsqu’une requérante souhaite recourir à un engagement de ne pas troubler l’ordre public comme moyen de pression ou de protection « au cas où » les choses tourneraient mal, les divers intervenants estiment qu’il s’agit d’une pratique douteuse et, plus particulièrement, la police se montre réticente à prendre les mesures nécessaires pour faire respecter l’ordonnance:
… lorsqu’elles voulaient encore avoir certains contacts, mais…je veux dire que parfois les femmes veulent ce type d’ordonnance tant que le conjoint se conduit bien. C’est-à-dire que tant que leur conjoint se conduit bien, il n’y a pas de problème mais lorsqu’il ne se comporte pas bien, elles veulent pouvoir utiliser cette ordonnance. Je ne pense pas que cela soit tout à fait adéquat. Je veux dire que les choses doivent être beaucoup plus nettes. Vous avez cette ordonnance, et bien vous l’avez, point final. (Travailleuse dans un refuge – Manitoba)
Non, pas même des voies de fait. Si vous avez un engagement de ne pas troubler l’ordre public et disons, je vous arrête, imaginons que vous ayez obtenu un engagement de ne pas troubler l’ordre public et que je sois votre époux, et qu’un mois après que j’aie signé cet engagement nous décidons dans l’intérêt des enfants d’essayer d’arranger les choses. Vous ne prévenez aucun tribunal. La police nous arrête, je conduis et vous êtes dans la voiture avec moi. Les policiers procèdent à une vérification. Ils découvrent que j’ai contracté l’engagement de ne pas troubler l’ordre public en vertu de l’article 810 du Code criminel. Ils parlent avec vous et vous demandent si vous savez que votre époux est là. Êtes-vous monsieur X et madame Y? Vous confirmez votre identité. D’après nos fichiers, votre époux est sous le coup d’un engagement de ne pas troubler l’ordre public et ne peut pas avoir de contact avec vous. Vous pouvez répondre que c’est bien le cas mais que nous essayons de nous réconcilier. dans le cadre d’un engagement de ne pas troubler l’ordre public, la police a un pouvoir discrétionnaire. Donc, si vous dites: « écoutez, je veux faire une déclaration indiquant que nous essayons de nous réconcilier », la police a le pouvoir discrétionnaire de ne pas porter accusation. Vous me suivez? Mais si vous appelez la police et que vous lui dites « Kevin est ici, c’est mon ami, j’ai obtenu contre lui un engagement de ne pas troubler l’ordre public, j’ai une copie du document », la police intervient. Il existe des éléments de preuve par votre déclaration ou que sais-je encore. Des témoins ou même la police peuvent voir qu’il est avec vous. Les policiers portent accusation aux termes de l’article 811 du Code criminel. À présent, on a beau dire qu’il s’agit d’une infraction mixte et susceptible de poursuites en justice, ce qui signifie qu’elle peut être poursuivie par procédure sommaire mais il s’agit également d’une infraction relevant d’une juridiction absolue. En d’autres termes, un juge de cour provinciale a une compétence absolue sur cette accusation. Une personne ne peut pas se présenter devant un juge ou un juge et un jury, il s’agit d’une accusation relevant d’une juridiction absolue. La police pourrait porter accusation, je pourrais porter accusation simplement en me fondant sur la violation de l’engagement de ne pas troubler l’ordre public. Vous comprenez? Je pourrais vous rencontrer avec votre époux paisiblement assis sur un banc dans le parc ou vous pourriez être assise sur un banc du parc et votre époux pourrait s’approcher de vous contre votre gré. Vous appelez la police, je pourrais porter accusation pour la violation d’un engagement de ne pas troubler l’ordre public en vertu de l’article 811 du Code criminel. Il s’agirait d’une accusation au pénal. En cas de condamnation, cette personne aurait un casier judiciaire. (Policier – Nouvelle Écosse)
La requérante doit garder une copie de l’ordonnance sur elle et avertir la police immédiatement en cas de violation :
Donc, dès que la requérante obtient un engagement de ne pas troubler l’ordre public, elle reçoit un document qu’elle doit toujours porter sur elle. De cette façon, si le défendeur se présente effectivement, grâce à cette ordonnance nous pouvons l’inculper pour la violation de l’engagement. (Policier – Nouvelle Écosse)
Nous avons déjà eu des personnes qui nous ont dit qu’elles ne pensaient pas que cela les aidait tant que ça mais ensuite nous devons leur rappeler qu’en cas de violation, elles doivent nous appeler. (Policier – Manitoba)
Comme l’indique la section précédente, il est parfois difficile pour la police de porter une accusation contre une personne ayant contracté un engagement en vertu de l’article 810 si celle-ci est suffisamment intelligente pour contourner les conditions qui lui ont été imposées, pour peu qu’elles soient suffisamment vagues ou contiennent des exceptions. Il existe des techniques qui permettent de contourner les conditions imposées dans un engagement de ne pas troubler l’ordre public, et c’est pour cela que la police rencontre des difficultés pour procéder à une arrestation. Un avocat de Nouvelle Écosse a relaté l’incident suivant. Le défendeur terrorisait sa cliente par l’intermédiaire d’une tierce personne:
J’ai connu un cas ou l’époux avait téléphoné à une amie proche de ma cliente et lui avait dit, au cours d’une conversation longue et décousue, toute une série de choses peu flatteuses à propos de son ex-épouse: « j’ai une arme »,« je vais aller chercher une arme ». Ce n’étaient pas des menaces directes. Simplement, vous savez.... et cet homme était très malin. Ma cliente pensait qu’il avait agi sciemment parce qu’il savait qu’il pouvait contourner le droit pénal, tout en atteignant ses fins. L’amie de ma cliente lui a téléphoné et lui a tout raconté et cela a eu l’effet escompté par l’époux: ma cliente a eu très peur. dans cette situation, aucune accusation ne pouvait être portée au pénal, mais nous avons réussi à obtenir un engagement de ne pas troubler l’ordre public. (Avocat – Nouvelle Écosse)
Le plus grand problème à propos de l’exécution des engagements de ne pas troubler l’ordre public (y compris ceux qui sont liés à des problèmes de violence familiale) concerne peut-être le sérieux accordé à ces violations par la police et les tribunaux. Leur attitude n’est pas claire:
… nous accordons une très grande importance à ces engagements, nous les introduisons dans le système de données du Centre d'information de la police canadienne, et ils sont exécutoires. Selon la police, il devrait y avoir une limite de temps de trois ans. (Policiers – Manitoba)
Le système ne prend pas cela au sérieux. C’est ce que nous pensons. Je me trompe peut-être et vous parlerez peut-être à quelqu’un qui vous dira le contraire, mais en tout cas, ce n’est pas l’expérience que nous avons. La police n’a pas toujours semblé en faire grand cas. (Travailleuse dans un refuge – Ontario)
Et beaucoup de personnes ne comprennent simplement pas la différence. Les violations sont nombreuses et on ne peut pas dire que la police n’est pas intervenue et qu’elle n’a pas porté d’accusation de violation à l’encontre de cette personne. Elle l’a fait mais ensuite, l’affaire est transmise aux tribunaux qui la prennent en charge. Donc, c’est très agaçant. (Policier – Nouvelle Écosse)
L’un des principaux facteurs qui contrarie la police et les personnes protégées dans les cas de violation d’engagement de ne pas troubler l’ordre public (ou d’autres injonctions) est l’absence de système d’enregistrement national fiable. S ans un accès facile aux renseignements liés aux engagements de ne pas troubler l’ordre public, y compris les conditions imposées aux défendeurs, il est beaucoup plus difficile de vérifier ou même de savoir si une personne a contracté un engagement.
11.5 Problèmes liés au suivi
Au cours des travaux de préparation et de recherche effectués pour rassembler les données nécessaires à la réalisation du présent rapport, il nous est apparu très clairement que le catalogage et le suivi des engagements de ne pas troubler l’ordre public étaient adaptés selon les circonstances et non normalisés au niveau local et, pour ce qui est des renseignements détaillés sur les engagements de ne pas troubler l’ordre public, presque inexistants au niveau national. Pourtant, certains répondants pensaient que lorsqu’un engagement de ne pas troubler l’ordre public était obtenu, celui-ci était introduit dans les bases de données locales et nationales:
Je dirais que l’avantage est que ces renseignements sont ensuite disponibles pour la police et que celle-ci sait qu’il s’agit d’un problème grave . (Travailleuse dans un refuge – Nouvelle Écosse)
Pas de contact, pas de période de communication, pas de zone d’incertitude, c’est ce qui le rend facilement exécutoire. Les données sont introduites dans le système du Centre d'information de la police canadienne et elles sont exécutoires . (Policier – Manitoba)
Cependant, dans d’autres cas, les professionnels de la justice étaient tout à fait conscients de l’absence d’un système de suivi efficace:
Et ensuite, vous savez, pour ce qui est de la procédure, un des problèmes est qu’après l’imposition d’un engagement de ne pas troubler l’ordre public, pour une raison quelconque, cet engagement n’est pas introduit dans le système informatique. Donc, la police connaîtra les conditions d’un engagement parce qu’il lui suffit de téléphoner de sa voiture. Les engagements de pas troubler l’ordre public sont plus problématiques parce qu’il s’agit d’un support papier et qu’il faut véritablement voir le document. S ans cela, les policiers ne peuvent pas en connaître les dispositions. Je crois que tout cela crée des problèmes au niveau de l’exécution. Je ne sais pas si cela répond à votre question sur la procédure . (Avocat – Nouvelle Écosse)
… en ce qui concerne les engagements de ne pas troubler l’ordre public, ceux-ci sont souvent imposés s ans que la police en ait connaissance. Un tribunal rend une ordonnance, laquelle est envoyée à la police qui l’affiche; parfois nous ne recevons même pas de copie. Si la victime ne possède pas de copie, vous devez aller au tribunal pour en obtenir une. Donc, j’oserais dire que parfois des engagements de ne pas troubler l’ordre public ont été ordonnés et violés, s ans que la police en ait jamais connaissance (Policier – Nouvelle Écosse)
Si nous examinons les données fournies par les tribunaux de Halifax et de Hamilton sur les engagements de ne pas troubler l’ordre public dans le cadre de l’ETJCA, et si nous les comparons aux données ou aux statistiques de la police, nous constatons d’importantes asymétries. Pour ce qui est de Halifax, en 1998, 66 des 88 engagements de ne pas troubler l’ordre public (75 %) considérés comme des « engagements privés » apparaissaient dans la base de données de la police. Pour 1999, les chiffres sont passés à 69 engagements sur 102 (68 %). À Hamilton, les statistiques de la police (pas leur base de données) incluent les engagements de ne pas troubler l’ordre public en vertu de la « Common Law », ce qui a provoqué une importante surestimation du nombre total d’engagements. En 1997, les statistiques de la police rapportaient 31 fois plus d’engagements de ne pas troubler l’ordre public en vertu de l’article 810 que les tribunaux (587 contre 19); en 1998, elles en rapportaient 17 fois plus (301 contre 17); et plus de dix fois plus en 1999 (268 contre 26).
On pense souvent à tort que le Centre d'information de la police canadienne enregistrera les engagements de ne pas troubler l’ordre public dans sa base de données. Cependant la politique du Centre indique qu’à moins que l’engagement ne soit accompagné d’une autre infraction substantielle à l’instruction, il n’est pas introduit dans la base de données parce que l’imposition d’un engagement en vertu de l’article 810 ne constitue pas une « infraction ».
Par conséquent, au Tribunal de la violence familiale de Winnipeg, où on a l’habitude d’associer des accusations ou une condamnation pour voies de fait avec un engagement de ne pas troubler l’ordre public, le taux de déclaration au Centre d'information de la police canadienne (CIPC) pour la ville est de 85,6 % ( voir tableau 11.5.1 ). À Halifax, où cette procédure n’est pas utilisée et où un engagement est imposé, le taux déclaré au Centre est de seulement 1,3 %. Ce taux de déclaration est très faible parce que les engagements de ne pas troubler l’ordre public en vertu de l’article 810 sont généralement obtenus par des parties privées par l’intermédiaire d’un juge de paix.
VILLE | NON | OUI | ||
---|---|---|---|---|
N | % | N | % | |
Halifax | 230 | 98,7 | 3 | 1,3 |
Winnipeg | 41 | 14,4 | 243 | 85,6 |
Source : Dossiers du CIPC
Il est clair que les divergences entre les juridictions dépendent principalement des pratiques locales et des politiques en matière de tr ansmission des données. Avec l’apparition d’une nouvelle législation en matière de violence familiale et d’un plus grand éventail de possibilités en matière d’ordonnance de protection, un registre national reprenant les ordonnances de protection semble plus que jamais nécessaire.
- Date de modification :