Les engagements à ne pas troubler l'ordre public et la violence contre les femmes : une étude de site des effets du projet de Loi C-42 sur la procédure, la demande et l'exécution
8. HALIFAX
8. HALIFAX
La ville de Halifax est une collectivité côtière qui est le centre des activités du gouvernement provincial et de celles d’entreprises commerciales et navales opérant sur la côte atlantique du Canada. Selon les estimations actuelles, la population est de 385613 habitants. La police régionale de Halifax compte 430 policiers assermentés qui officient à Halifax, Dartmouth, Bedford et aux alentours de la municipalité.
8.1 Contexte, traitement et exécution
Dans la province de la Nouvelle Écosse, les engagements de ne pas troubler l'ordre public sont encore utilisés dans les cas de violence familiale, mais d'après tous les répondants, leur utilisation se fait de plus en plus rare en raison de changements au niveau des politiques d'exécution. Depuis la moitié des années 80, le processus de la preuve favorise une politique d’arrestation et d’inculpation obligatoires dans les cas de violence familiale. La police, plus particulièrement, est censée prendre certaines mesures en procédant à des arrestations, entre autres, lorsqu’elle a des motifs raisonnables et probables de croire qu’une infraction a été commise:
Je dois reconnaître que depuis que la politique a été modifiée, vers 1996, en Nouvelle Écosse, on a institué une politique d’arrestation obligatoire qui encourage les policiers à porter des accusations en cas d’infraction criminelle plutôt que de compter sur un recours découlant d'une « initiative personnelle ». Nos chiffres ont sensiblement baissé, concernant le nombre de femmes qui viennent nous trouver pour user de ce recours. (Avocat – Nouvelle Écosse)
Eh bien, avec la politique d’accusation obligatoire adoptée par la province, une accusation est automatiquement portée si elle est justifiée. (Policier – Nouvelle Écosse)
Je ne suis pas sûr de la période à laquelle ce système a été mis en place en Nouvelle Écosse, car je travaillais avant en Alberta, mais maintenant nous portons des accusations, nous sommes mandatés pour cela. (Policier – Nouvelle Écosse)
Les policiers de Halifax et des environs nous ont répété que les engagements de ne pas troubler l'ordre public étaient une mesure de dernier recours et que, depuis l'instauration de la politique d’arrestation obligatoire, ils privilégiaient systématiquement le dépôt d'accusations :
S'il existe des éléments de preuve allant dans le sens d'une accusation, le policier ne va pas recommander le recours à un engagement de ne pas troubler l'ordre public. (Policier – Nouvelle Écosse)
En fait, le nondépôt d'accusations pourrait donner lieu à un examen minutieux de la part des supérieurs hiérarchiques et, dans le cas précis de Halifax, à un examen des affaires traitées quotidiennement par les services d'aide aux victimes. Ainsi, la plupart des policiers interrogés considèrent que les engagements en vertu de l'article 810 ne sont liés qu’indirectement aux cas de violence familiale. Les engagements de ne pas troubler l'ordre public sont considérés comme un recours découlant d'une « initiative personnelle ». Même le registre des données de la police de Halifax classe les engagements de ne pas troubler l'ordre public dans la catégorie « engagement privé », au sein du système de renseignements.
Néanmoins, les engagements de ne pas troubler l'ordre public, principalement ceux associés à une intervention de la police, s'appliqueraient aux connaissances, aux frères et soeurs, aux voisins ou autres. S'il n'y a pas assez d'éléments nécessaires à une poursuite ou s'il y en a assez, mais que les parties ne veulent pas engager de poursuites ou en cas de preuves insuffisantes pour engager une action en justice en vertu du Code criminel, alors, en tant que policier, je recommanderais l’imposition d'un engagement de ne pas troubler l'ordre public. (Policier – Nouvelle Écosse)
Le principal changement s’est opéré au niveau de la manière de gérer les accusations pour voies de fait. En effet, une fois que l'accusation a été déposée, que le procureur de la Couronne s'en saisit, la procédure suit son cours; l'engagement de ne pas troubler l'ordre public est généralement sollicité par les particuliers. (Juge – Nouvelle Écosse)
La voie la plus probable pour obtenir un engagement de ne pas troubler l'ordre public dans les cas de violence familiale consiste à passer par un juge, lors d'un procès, ou lorsqu'un procureur de la Couronne doit se rabattre sur un engagement en vertu de l'article 810, faute de preuves concluantes dans le cadre d'une affaire de voies de fait :
Ce que j'ai pu constater, c'est que désormais, lorsque le procureur de la Couronne ne donne pas suite à une accusation pour voies de fait, l'affaire est généralement réglée en ordonnant un engagement de ne pas troubler l'ordre public. Vous parlez d'un contexte de violence familiale, n'est-ce pas? ... Ce qui me surprend, car il a été plus ou moins décidé de ne pas utiliser les engagements de ne pas troubler l'ordre public comme alternative… (Juge – Nouvelle Écosse)
Autrement, les requérantes doivent souvent prendre l’initiative lorsqu'il s'agit d'obtenir un engagement de ne pas troubler l'ordre public à Halifax. La procédure est lancée lorsqu'une requérante comparaît devant un juge de paix pour faire une dénonciation sous serment :
La requérante se rend au bureau du greffe de la cour provinciale, où elle reçoit un formulaire, utilisé au niveau de la province, sur lequel elle inscrit son nom et celui de la personne qu’elle veut voir soumise à un engagement de ne pas troubler l'ordre public, les adresses respectives. Puis, la requérante précise les raisons qui motivent sa demande, à savoir pourquoi elle a peur d'être victime d'un préjudice physique ou matériel. Un juge de paix est ensuite chargé de passer en revue ces renseignements et reçoit la requérante afin qu'elle fasse une dénonciation sous serment en vue d’obtenir les renseignements nécessaires pour qu’un engagement de ne pas troubler l'ordre public soit ordonné. Ensuite, une citation à comparaître est envoyée à la personne visée par la demande d'engagement de ne pas troubler l'ordre public. Mais je ne sais pas si la requérante doit payer pour que la citation soit délivrée. (Procureur de la Couronne – Nouvelle Écosse)
Ce qui est intéressant, c'est que la procédure menant à l'audience compte deux étapes : le juge de paix et le greffier se chargent de la mise en accusation, et il faut généralement compter environ une semaine après la dénonciation sous serment. Lors de la mise en accusation, une audience est tenue pour parvenir à une décision et, s’il y a contestation de la part d’une des parties, le juge qui est saisi de l'affaire renvoie cette dernière à une prochaine audience, laquelle intervient au bout d'un délai assez long. (Juge de paix – Nouvelle Écosse)
Le greffier essayera de programmer un procès dans un délai de deux semaines si l'engagement est contesté : « et il veillera à la tenue du procès ou de l'audience dans un délai d'une semaine ou deux ». (Avocat – Nouvelle Écosse)
Je dirais que les engagements sont pris dans soixante à soixantedix pour cent des cas lors de la mise en accusation. (Juge de paix – Nouvelle Écosse)
Cependant, un problème se pose quand le défendeur décide de ne pas répondre. Lors de la lecture de l'acte d'accusation, si le défendeur ne comparaît pas, un mandat d'arrêt peut être émis, pour autant que le défendeur ait reçu, en bonne et due forme, une citation à comparaître comprenant un affidavit de signification. S ans affidavit de signification, le juge demandera généralement à un policier ou au shérif d'essayer de contacter à nouveau le défendeur. dans l’agglomération de Halifax, les services de police demandent 35$ pour ce service. Les retards liés à l'obtention d'un engagement de ne pas troubler l'ordre public vont à l'encontre du concept même d'ordonnance préventive, tout particulièrement dans les cas de première ou d'extrême urgence.
Du point de vue du personnel de police, des refuges et de la justice de Halifax, si une ordonnance est véritablement urgente, une arrestation doit avoir lieu et le prévenu ne doit être relâché que sous réserve d'un « engagement ».
Oui, et alors, il y a engagement, car une accusation a été portée. Et je pense que c'est vraiment une très bonne chose. (Travailleuse de refuge – Nouvelle Écosse)
Ainsi, une politique d’arrestation et d’inculpation obligatoires est appliquée et, au même moment, une mesure préventive provisoire est mise en place par le tribunal. En vertu d'un tel système, le poids de l’engagement est plus important, dans la mesure où le prévenu devra comparaître au procès pour répondre d'accusations de voies de fait ou autres. Il est dans son intérêt immédiat de cesser ses agissements et de se tenir tranquille.
Malgré ces tendances qui visent à prévenir l'utilisation directe des engagements de ne pas troubler l'ordre public à Halifax, ces derniers sont néanmoins utilisés par quelques requérantes dans les cas de violence familiale et ce, dès le départ. Au total, 36 pour cent des engagements de ne pas troubler l'ordre public de la base de données de la police de Halifax étaient liés à des cas de « violence familiale ». Et dans de tels cas, certains signes montrent que les requérantes obtiennent généralement gain de cause. Une travailleuse de refuge de Nouvelle Écosse a signalé que les femmes qu'elle aidait ou dont elle connaissait leur intention de demander un engagement de ne pas troubler l'ordre public pour échapper à leur partenaire, obtenaient presque systématiquement gain de cause. À Halifax, les services de police placent les hommes accusés de violence sous le coup d'un engagement, en guise de mesure préventive provisoire.
Je dirais que oui. Je ne parviens pas à me rappeler la dernière fois où je n'ai pas obtenu gain de cause. Je ne pense pas qu'un tel taux de réussite ait trait à mes compétences personnelles, mais je pense qu'il s'agit d'un recours exercé à titre préventif et que, de ce fait, les tribunaux sont plus susceptibles de pêcher par excès de prudence. (Avocat – Nouvelle Écosse)
Une récente innovation en Nouvelle Écosse, où il n’y a pas de loi provinciale relative à la violence familiale, est l’instauration de tribunaux de nuit, également compétents pour imposer des engagements de ne pas troubler l'ordre public en vertu de l'article 810. Selon un procureur de la Couronne de Nouvelle Écosse, le tribunal de nuit impose des engagements de ne pas troubler l'ordre public et punit les infractions routières. Cependant, il est peu probable que cette initiative ait pour but d'offrir aux femmes violentées un plus large éventail de recours préventifs d’urgence étant donné toutes les raisons susmentionnées, liées à l'exécution et aux politiques mises en place.
8.2 Caractéristiques des défendeurs
Il est ressorti du système d’information de la police de Halifax sur les « engagements privés » (N=233) que 76 pour cent des personnes ayant contracté un engagement de ne pas troubler l'ordre public entre 1998 et 2001 (à la date de l'Enquête) étaient des hommes et 18,5 pour cent des femmes. Le prénom n'a pas permis de déterminer le sexe de 4,8 pour cent des défendeurs.
L'âge moyen des personnes ayant contracté un engagement de ne pas troubler l'ordre public à Halifax est de 34,6 ans (n=222). La durée moyenne de ces engagements était de 11,1mois et la durée médiane était de 12mois (n=228). Par ailleurs, 46 pour cent (n=106) des défendeurs soumis à un engagement de ne pas troubler l'ordre public à Halifax avaient des antécédents criminels. Leur casier judiciaire portait en moyenne 5,8condamnations ou un nombre médian de trois condamnations.
INFRACTION | N | % * |
---|---|---|
Voies de fait | 87 | 37,3 |
Menaces | 38 | 16,3 |
Voies de fait graves | 5 | 2,1 |
Violation d'une ordonnance | 3 | 1,3 |
Violation d'un engagement | 3 | 1,3 |
Engagement de ne pas troubler l'ordre public | 3 | 1,3 |
Méfaits | 2 | 0,9 |
Enlèvement | 2 | 0,9 |
* Le total n'est pas égal à 100 car seules les infractions les plus communément commises sont reprises dans le tableau.
Soixante–sept pour cent des défendeurs soumis à un engagement de ne pas troubler l'ordre public à Halifax (n=156) faisaient l'objet d'autres accusations simultanées. Parmi ces défendeurs, 15 pour cent faisaient l'objet d'au moins deux accusations. Le tableau 8.2.1 montre que l’infraction la plus fréquemment observée était les voies de fait (n=87), suivies par les menaces (n=38) et les voies de fait graves (n=5). Curieusement, les violations d'une ordonnance faisaient l'objet d'une accusation simultanée (n=3) dans quelques cas, ce qui indiquait que la violation d'un engagement de ne pas troubler l'ordre public donnait lieu à la délivrance d'une nouvelle ordonnance à cet effet.
8.3 Conditions
La plupart des personnes interrogées ont précisé que les conditions imposées étaient généralement de « ne pas troubler l'ordre public et d’observer une bonne conduite », et d’éviter tout contact avec la requérante. Nous avons parcouru les bases de données de Halifax et du Centre d'information de la police canadienne afin de déterminer quelles étaient les conditions les plus communément imposées. Comme prévu, « aucun contact » et « ne pas troubler l'ordre public et observer une bonne conduite » étaient les plus fréquentes (cf. tableau 8.3.1).
Toutefois, on a constaté globalement qu’au niveau des fichiers électroniques des services de police, il y avait peu de précisions sur les conditions. Au total, 61 pour cent des engagements saisis dans le système ne mentionnaient aucune condition. dans la section 11.5, nous nous intéresserons plus en détail au suivi effectué par les services de police concernant les engagements de ne pas troubler l'ordre public, dans les trois juridictions.
N | % * | |
---|---|---|
Aucun contact | 75 | 32,1 |
Ne pas troubler l'ordre public et observer une bonne conduite | 30 | 12,8 |
Ne pas s'approcher de la requérante | 12 | 5,1 |
Se tenir à l'écart des enfants | 2 | 0,8 |
Aucune condition indiquée dans le dossier de la police | 141 | 60,5 |
* Le total n'est pas égal à 100 en raison de conditions multiples assorties à chaque cas.
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