Comprendre la surreprésentation des Autochtones dans le système de justice pénale

Tableau de bord sur l’état du système de justice pénale

Comprendre la surreprésentation des Autochtones dans le système de justice pénale

Les Autochtones sont surreprésentées dans le système de justice pénale canadien comme victimes/survivants Note de bas de page 8 ou de personnes accusées/déclarées coupables. Par exemple, en 2014, une proportion beaucoup plus élevée de personnes autochtones que de personnes non-autochtones au Canada (âgés de 15 ans et plus) ont déclaré avoir été victimes au cours de la dernière année (28 % contre 18 %)Note de bas de page 9. En 2016-2017, les adultes autochtones ont représenté 30 % des admissions en détention provinciale/territoriale, 27 % des admissions en détention fédérale et 27 % de la population en détention fédérale, alors qu’ils ne représentent que 4,1 % de la population adulte du CanadaNote de bas de page 10. Parallèlement, les jeunes Autochtones comptaient pour 50 % des admissions en détention, alors qu’ils ne représentent que 8 % des jeunes au CanadaNote de bas de page 11. Ces proportions sont à la hausse depuis plus de 10 ans.

Afin de mieux comprendre la surreprésentation des Autochtones dans le système de justice pénale, il est nécessaire de considérer le contexte. Dans l’esprit de la vérité et de la réconciliation, l’information qui suit donne un aperçu de la littérature sur les facteurs qui contribuent à cette surreprésentation. Cette information inclut des références aux multiples études, enquêtes et commissions entreprises depuis les années 1980s, ainsi qu’aux initiatives judiciaires et les programmes mis en œuvre dans le but d’adresser cette surreprésentation. Des informations additionnelles sur l’expérience de l’interaction des peuples autochtones avec le système de justice pénale peuvent être trouvées dans la section « études » du Tableau de bord.

En 1996, le Rapport de la commission royale sur les peuples autochtones a été publié. Ce rapport a trouvé que les contributions les plus grandes à cette surreprésentation étaient les valeurs coloniales sous-jacentes dans les lois criminelles, les politiques et les pratiques canadiens qui ont eu des effets néfastes sur les peuples autochtonesNote de bas de page 12. En raison du passé colonial du Canada, les peuples autochtones ont été soumis à des politiques et des pratiques d’assimilation qui ont créées des traumatismes intergénérationnels individuels et collectifs qui ont eu des répercussions néfastes sur les déterminants sociaux de la santé de plusieurs. Leurs expériences, souvent exacerbées par des conditions de logement inadéquates et des possibilités d’éducation et d’emploi limitées, sont décrites dans la littérature comme un facteur contribuant à un contact plus fréquent et prolongé avec le système de justice pénale pour les Autochtones que pour les personnes non-autochtones.

Le passé colonial du Canada

Nombre d’enquêtes, de commissions, de groupes de travail et d’études ont établi des liens directs entre les lois, les politiques, les processus et les systèmes coloniaux d’hier et d’aujourd’hui et la surreprésentation des Autochtones dans le système de justice pénale du Canada.
« [...] nous estimons que si l’on situe les causes profondes de la criminalité autochtone dans l’histoire du colonialisme, et que si l’on comprend les effets persistants de celui-ci, la nécessité d’établir de nouveaux rapports, contraires à toutes les prémisses sur lesquelles les relations coloniales entre les peuples autochtones et la société non autochtone se sont établies, devient absolument évidente. » (CRPA, 1996, p. 59)

Le colonialisme a mené à l'aliénation culturelle, à la dépossession territoriale, à des traumatismes intergénérationnels, à la discrimination systémique , et à la marginalisation socioéconomique, autant de phénomènes qui continuent d’avoir de profondes répercussions sur la vie de plusieurs Autochtones aujourd’huiNote de bas de page 13. L’aliénation culturelle et les traumatismes intergénérationnels causés par des politiques comme celles régissant les pensionnats et l’enlèvement forcé d’enfants de leur famille durant la rafle des années 1960 ainsi que les pratiques existantes relatives à la protection de l’enfance ont miné les relations et contribuer à l’érosion des liens familiaux et communautaires. Ces politiques ont eu des retombées complexes et tragiques pour plusieurs, comme par exemple des taux disproportionnés de problèmes de santé physique graves, de problèmes de santé mentale et de déficiences cognitives, de suicide, d’agressions physiques et sexuelles, d’alcoolisme et de toxicomanie, de violence interpersonnelle, d’éclatement de l’unité familiale et de contact avec le système de justice pénale en tant que victimes/survivants ou personnes accusées/déclarées coupablesNote de bas de page 14.

Selon la Commission de vérité et réconciliation (2015), le colonialisme a également écarté les femmes des structures du pouvoir en remplaçant des formes existantes de gouvernement autochtone qui leur attribuaient une influence considérable et des rôles puissants dans de nombreuses Premières Nations Note de bas de page 15. Le rapport provisoire de 2017 de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées ainsi que d’autres études ont révélé que les femmes autochtones sont souvent dévalorisées dans la société canadienne, ce qui mène à des taux de violence alarmants et à un contact accru avec le système de justice pénale en tant que victimes/survivantes ou personnes accusées/déclarées coupables Note de bas de page 16.

Discrimination systémique

La Cour suprême (dans R. c. Gladue,Note de bas de page 17 R. c. Wells,Note de bas de page 18 et R. c. IpeeleeNote de bas de page 19) ainsi que plusieurs commissions d’enquête menées depuis plus de 30 ans ont décrit la discrimination systémique dans le système de justice pénale — les services de police, les tribunaux et les services correctionnels — comme un problème grave. Le lien disponible sur la page « En savoir plus » permet d’accéder à de l’information sur les mesures et enquêtes gouvernementales, législatives et judiciaires sur cet enjeu.

« Il ne faut pas s’en surprendre, mais le recours excessif à l’emprisonnement dans le cas des Autochtones n’est que la pointe de l’iceberg en ce qui concerne la marginalisation des Autochtones au sein du système de justice pénale au Canada. Les Autochtones sont surreprésentés dans virtuellement tous les aspects du système. Notre Cour a souligné récemment dans R. c. Williams [...] [1998] 1 R.C.S. 1128, au par. 58, que les préjugés contre les Autochtones sont largement répandus au Canada, et qu’"[i]l y a une preuve que ce racisme largement répandu s’est traduit par une discrimination systémique dans le système de justice pénale". » (R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688)

Dans la littérature sur le sujet, on mentionne que les excès de zèle des policiers à l’égard des Autochtones ainsi que la faible présence policière sont des exemples de discrimination systémiqueNote de bas de page 20. Bien que nous n’ayons actuellement pas de données sur le sujet, on croit que les Autochtones sont plus souvent interpellés par la police et que cela mène à un contact plus fréquent des Autochtones avec les tribunaux par comparaison aux non-autochtones. Parallèlement, des études révèlent que des préjugés amènent les policiers à percevoir les Autochtones comme des victimes moins légitimes, à remettre leur crédibilité en question, à ignorer leurs demandes d’aide ou à ne pas les soutenir adéquatementNote de bas de page 21.

Parmi les adultes admis dans des établissements de détention, la proportion d'Autochtones est à la hausse depuis plus de 10 ansNote de bas de page 22. Malgré l’ajout au Code criminel de l’alinéa 718.2e)Note de bas de page 23 en vertu duquel les juges doivent déterminer la peine à infliger en tenant compte de toutes les solutions de rechange à l’emprisonnement et en prêtant une attention particulière aux circonstances propres au délinquant autochtone déclaré coupable d’une infraction,Note de bas de page 24 on estime que les sanctions substitutives ne sont pas régulièrement utilisées à l’extérieur des tribunaux spécialisés (p. ex. les tribunaux Gladue)Note de bas de page 25.

Des études donnent à penser que le nombre élevé de peines d’emprisonnement chez les Autochtones tient en partie au fait qu’on leur refuse plus souvent la liberté sous caution ce qui mène à des périodes de détention préalable au procès ou de détention provisoire plus longues que dans le cas des accusés non-autochtonesNote de bas de page 26. Les données actuellement disponibles ne permettent pas de confirmer si c’est le cas. La liberté sous caution s’assortit souvent de conditions, comme l’obligation de nommer une personne qui serait disposée et apte à verser un paiement à la cour en cas de manquement de l’accusé aux conditions de sa mise en liberté. Ceux-ci peut s’avérer difficile pour une personne ayant des démêlés avec la justice, puisqu’elle est susceptible de vivre dans la pauvreté ou l’itinérance ou d’être aux prises avec un problème de toxicomanie ou de santé mentaleNote de bas de page 27.

En outre, un rapport spécial publié en 2012 par le Bureau de l’enquêteur correctionnelNote de bas de page 28 a souligné que, par comparaison aux personnes non-autochtones, les Autochtones : purgent une part disproportionnée de leur peine derrière les barreaux; sont sous-représentés parmi les délinquants faisant l’objet d’une surveillance dans la collectivité et surreprésentés dans les établissements à sécurité maximale; et sont impliqués de façon disproportionnée dans les incidents de sécurité, de recours à la force, de placement en isolement et de comportement d’automutilation en établissementNote de bas de page 29.

La littérature montre que les répercussions du colonialisme et de la discrimination systémique ont mené à des taux disproportionnés d’incarcération des Autochtones. Même lorsque les facteurs de risque économiques (comme l’emploi, la pauvreté, de graves conflits familiaux et des problèmes d’alcoolisme et de toxicomanie) sont pris en compte, l’ascendance autochtone semble toujours être fortement associée avec l’incarcérationNote de bas de page 30.

Marginalisation socioéconomique

De nombreuses personnes qui entrent en contact avec le système de justice pénale font face à des problèmes touchant, par exemple, la santé mentale, la toxicomanie, la pauvreté, l’itinérance et des antécédents de violence, de traumatismes et de victimisation. Cependant, les diverses expériences vécues par d’autres groupes d’Autochtones dans le système de justice pénale, y compris la surreprésentation, sont plutôt imputables à la perte de la culture et de la langue, aux inégalités sociales et politiques, aux traumatismes intergénérationnels et aux obstacles économiquesNote de bas de page 31.

Selon la littérature sur cette question, l’impact de la marginalisation socioéconomique sur la surreprésentation des Autochtones dans le système de justice pénale canadien est importantNote de bas de page 32. Les Autochtones du Canada affichent un taux de chômage supérieur et un taux de scolarité inférieur à ceux des personnes non-autochtonesNote de bas de page 33. La part de leur population dont les conditions de logement sont inadéquatesNote de bas de page 34 est disproportionnée, et leurs résultats en matière de santé sont inférieurs à ceux des personnes non-autochtonesNote de bas de page 35. Tous ces facteurs, ainsi que la pauvreté, limitent les débouchés et les chances d’épanouissement qui s’offrent à une personne et forment les bases de la vulnérabilité de certains en plus d’accroître la probabilité de démêlés avec la justiceNote de bas de page 36.

Certains Autochtones continuent de souffrir de cette marginalisation socioéconomique une fois qu’ils sont dans le système de justice pénale. Selon une récente étude par le Service correctionnel Canada portant sur les besoins particuliers des délinquants dans un établissement fédéral, les Autochtones continuent d’afficher des besoins plus marqués que les personnes non-autochtones au chapitre de l’emploi, de l’éducation, de la santé et du logementNote de bas de page 37. Les outils d’évaluation du risque utilisés aux fins de la détermination de la peine et de l’élaboration de plans correctionnels s’appuient sur les mêmes facteurs (niveau de scolarité, emploi, situation financière et logement). Par conséquent, les Autochtones déclarés coupables d’une infraction sont plus susceptibles d’être cotés « à risque élevé »Note de bas de page 38.

Différences culturelles

Le système de justice pénale canadien a été façonné par les valeurs de justice occidentales. Or, ces valeurs diffèrent des cultures autochtones en ce qui concerne la façon d’envisager les méfaits ou les préjudices ainsi que les approches en matière de justiceNote de bas de page 39.
« L’effondrement des peuples autochtones au Canada et dans de nombreux autres pays coloniaux réside dans leur aliénation du système de justice pénale. La justice qui leur est prescrite n’est pas celle qui est envisagée par leur culture ou leurs coutumes. On leur a imposé une justice occidentale, plus précisément une justice occidentale rétributive sanctionnée par l’État qui a servi à coloniser et à marginaliser les peuples autochtones. » (Aboriginal Justice Inquiry of Manitoba, 1999; Sutherland, 2002; passage cité dans Hansen, 2012, p. 1)

Il y a de nombreuses cultures autochtones différentes au Canada, certes, mais celles-ci présentent de nombreux points communs quant à la façon de concevoir la justice et de réparer les préjudices. Bien que les conceptions autochtone et occidentale de la justice souscrivent toutes deux aux principes de dissuasion, de dénonciation, de neutralisation (au nom de la sécurité publique) et de réadaptation, c’est dans l’application de ces principes et dans les approches préconisées à l’égard du méfait ou du préjudice qu’elles diffèrent. Par exemple, la notion de justice dans les traditions juridiques autochtones est de nature relationnelle et repose sur les liens de parenté. On met l’accent sur les relations, sur le rétablissement de la paix et de l’équilibre au sein de la communauté; on répare le préjudice par la guérison et la réintégrationNote de bas de page 40. Quant à la justice occidentale, au-delà de l’inclusion des principes de la justice réparatrice, elle ne tend pas à insister sur les relations, étant donné que les méfaits sont considérés comme des crimes contre l’État plutôt que des préjudices infligés aux victimes. Ces différences fondamentales ne peuvent qu’accroître les traumatismes et la surreprésentation des Autochtones dans le système de justice pénaleNote de bas de page 41.

Au-delà des différences touchant la vision du monde, certains comportements normatifs qui font partie des cultures autochtones peuvent être mal interprétés par la justice occidentale lorsque ses représentants ne connaissent pas la culture de l’intéresséNote de bas de page 42. Il suffit de penser au témoin autochtone qui évite le contact visuel par respect, mais dont ce comportement est interprété comme un signe de culpabilité; un autre exemple serait le tribunal qui assimile le plaidoyer de culpabilité à une acceptation de sa responsabilité ou du blâme à l’égard d’un préjudice causéNote de bas de page 43.

La mise en œuvre de programmes de justice communautaire adaptés à la culture aide à contrer les répercussions des différences culturelles dans le système de justice pénale. En effet, la conception par les collectivités autochtones de programmes et services liés à la justice et qui sont adaptés à la culture, aux traditions et aux besoins locaux a donné de bons résultats. Par exemple, les Autochtones accusés/déclarés coupables qui ont participé à des programmes de justice communautaire affichent des taux de récidive inférieurs à ceux des Autochtones accusés/déclarés coupables pris en charge par le système de justice pénale de tradition occidentaleNote de bas de page 44. Bien souvent, les approches autochtones reflètent les principes de la justice réparatrice et les idéaux de guérison. Elles sont d’ordre relationnel, en ce sens qu’elles appellent à la participation des parties concernées par le préjudice, y compris la collectivité. Elles sont perçues comme des approches de résolution de problèmes efficaces qui permettent de réagir au préjudice en offrant du soutien et des occasions de guérison à long termeNote de bas de page 45.

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