Pouvoir discrétionnaire de la police à l'égard des jeunes contrevenants
V. Facteurs conjoncturels influant sur le pouvoir discrétionnaire de la police
4.0 Coaccusés et crimes apparemment commis par des gangs
À l'heure actuelle, les gangs d'adolescents et les crimes commis par des groupes d'adolescents préoccupent beaucoup le public et la police. Selon un manuel canadien récent destiné aux étudiants en études policières :
[TRADUCTION] Les facteurs principaux [dans l'augmentation apparente des crimes d'adolescents] semblent être la drogue et les gangs qui, en soi, créent d'immenses frustrations chez les policiers…Les gangs deviennent de plus en plus un problème important pour la police … (Dantzker et Mitchell, 1998: 56)
Des policiers, dans environ un quart des services de police figurant à l'échantillon, nous ont dit faire face à un grave problème de crimes liés à des gangs d'adolescents (chapitre III, figure III.12, ci-dessus). Les crimes commis par des groupes d'adolescents et ceux liés à des gangs sont des phénomènes distincts, mais souvent confondus. Carrington (2002) a constaté que 7 p. 100 des incidents mettant en cause des adolescents durant les années 1990 impliquaient l'arrestation de trois adolescents ou plus et 17 p. 100 en impliquaient deux. Les jeunes contrevenants impliqués dans des incidents mettant en cause trois adolescents ou plus étaient moins susceptibles d'être accusés que ceux qui étaient arrêtés avec un autre contrevenant ou seul (Carrington, 1998a). [95]
Nous avons demandé aux policiers s'ils tenaient compte de coaccusés ou de gangs lorsqu'ils décident comment traiter des incidents. On trouvera un résumé des réponses au tableau V.10.
Pas un facteur |
Facteur mineur |
Facteur | Facteur important |
N | |
---|---|---|---|---|---|
Gang | 52 % | 9 % | 24 % | 15 % | 75 |
Groupe - agissant seul | 44 % | 42 % | 13 % | 1 % | 123 |
Adulte/adolescent coaccusé |
61 % | 30 % | 8 % | 1 % | 95 |
4.1 Crimes liés à des gangs
Environ la moitié des policiers interviewés ont indiqué qu'ils ne tenaient pas compte du fait qu'un crime est lié à un gang pour décider comment le traiter. Un autre 9 p. 100 a indiqué qu'il ne s'agissait que d'un facteur mineur. Cependant, il existe de grandes variations selon le service de police en cause. Cinquante-six pour cent des répondants des centres métropolitains ont indiqué qu'il s'agissait d'un facteur important, comparativement à 33 p. 100 de ceux dans les banlieues et les régions exurbaines et 17 p. 100 dans les zones rurales et les petites villes. Cette constatation appuie celle portant sur l'ampleur du problème de crimes par des gangs d'adolescents selon qu'il s'agira d'une collectivité métropolitaine, de banlieue/exurbaine ou rurale/de petite ville (43 p. 100 / 32 p. 100 / 9 p. 100, voir le chapitre III, section 4.3). En effet, les policiers des collectivités ayant un problème reconnu de gangs d'adolescents étaient plus susceptibles (78 p. 100) que ceux des autres collectivités (21 p. 100) de décrire le lien avec un gang comme étant un facteur ou un facteur important dans leur décision. Les policiers des collectivités aux prises avec « beaucoup » de crimes commis par les adolescents étaient également plus susceptibles (61 p. 100) que ceux des collectivités présentant un « niveau normal » (37 p. 100) ou « très peu » (25 p. 100) de crimes de ce genre d'affirmer que le lien avec un gang était un facteur ou un facteur important. De plus, les policiers des collectivités ayant presque n'importe lequel type de problèmes de criminalité juvénile étaient portés à considérer que la présence d'un gang constituait un facteur ou un facteur important, à savoir : 47 p. 100 des policiers des collectivités ayant de graves problèmes de crimes contre les biens commis par les adolescents comparativement à 27 p. 100 dans les autres collectivités; 73 p. 100 des policiers des collectivités ayant de graves problèmes de crimes violents commis par des adolescents contre 25 p. 100 dans les autres collectivités; 46 p. 100 des policiers des collectivités ayant des problèmes de crimes liés à la drogue commis par des adolescents par rapport à 28 p. 100 dans les autres collectivités; enfin, 56 p. 100 des policiers des collectivités ayant un problème de prostitution juvénile par rapport à 36 p. 100 dans les autres collectivités.
Il existe aussi des variations régionales importantes en ce qui concerne cette question (figure V.3). Dans une certaine mesure, elles sont conformes aux variations régionales sur l'incidence reconnue des problèmes de gangs d'adolescents (voir chapitre III, figure III.14).[96]
Les policières sont beaucoup plus susceptibles que les policiers de tenir compte de l'appartenance à un gang dans leur décision (63 p. 100 par rapport à 44 p. 100). Les policiers des escouades jeunesse (72 p. 100) ou policiers éducateurs (75 p. 100 ) sont beaucoup plus portés à considérer l'implication d'un gang au moment de prendre leur décision que ne le sont les patrouilleurs (33 p. 100), les cadres (60 p. 100) ou les membres de la SEG (46 p. 100). Il n'y a là rien de surprenant, car la plupart des programmes spécialisés ciblant les gangs d'adolescents mettent en cause les deux premiers groupes. Les policiers ayant déjà fait partie d'une escouade jeunesse étaient plus susceptibles (86 p. 100) de tenir compte de l'appartenance apparente à un gang que ceux qui n'en avaient jamais fait partie (44 p. 100).
4.2 Crimes de groupe
Pour la plupart, les répondants (86 p. 100) étaient d'avis que leur décision était peu influencée par la question de savoir si le contrevenant avait commis le crime seul ou avec un groupe. Cependant, ceux qui ont indiqué qu'il s'agissait d'un facteur mineur ont laissé entendre qu'un adolescent commettant un crime avec un groupe est peut-être influencé par la pression de ses pairs. Ils ont mentionné qu'ils tentaient, au mieux de leur capacité, de préciser le rôle de chaque adolescent lors de la perpétration du crime. Ainsi, ils peuvent peut-être porter des accusations contre le chef de file et recourir à des mesures de rechange pour les autres. Les policiers pour qui la question de savoir si le crime a été commis « seul ou en groupe » n'était pas un facteur ont expliqué que chaque personne du groupe devait être traitée de la même façon (sauf ceux ayant des antécédents judiciaires différents). Ainsi, si on porte des accusations contre un, on en porte contre tous, car on ne peut assigner des degrés de responsabilité. Selon ces policiers, le degré de responsabilité pouvait être déterminé par les avocats du ministère public ou par le tribunal de la jeunesse, selon la gravité de l'infraction. Ceci ne veut pas nécessairement dire que ces policiers ne recourraient pas à des mesures officieuses pour les crimes de groupe, mais qu'ils traiteraient chaque adolescent du groupe de la même façon, comme si chacun avait seul commis l'infraction.
Les opinions sur cette question varient sensiblement pour les mêmes raisons que les opinions sur les crimes de gang (ci-dessus) : les policiers des collectivités ayant de graves problèmes de crimes contre les biens commis par des adolescents sont plus susceptibles de considérer l'infraction en groupe comme un facteur ou un facteur important dans leur décision (21 p. 100 par rapport à 5 p. 100 des policiers dans les autres collectivités), tout comme les policiers des collectivités ayant des problèmes de gang (20 p. 100 par rapport à 12 p. 100), des crimes liés à la drogue (17 p. 100 par rapport à 9 p. 100) et des problèmes de prostitution juvénile (33 p. 100 par rapport à 12 p. 100).
De plus, les policiers des collectivités ayant une importante population autochtone hors réserve sont moins susceptibles de considérer les crimes d'adolescents commis en groupe plutôt que seul comme un facteur ou un facteur important (6 p. 100 par rapport à 17 p. 100 des policiers des autres collectivités).
Les opinions varient également selon le sexe et le rang du policier. Ainsi, 16 p. 100 des policiers masculins, mais aucune policière, étaient d'avis que l'infraction en groupe était un facteur ou un facteur important. Les intervenants étaient un peu plus portés que les surveillants ou les cadres à affirmer que l'infraction en groupe était un facteur ou un facteur important (14 p. 100 par rapport à 8 p. 100).
Nombre de personnes arrêtées | % accusés | % accusés rajusté |
N |
---|---|---|---|
1 (seul l'adolescent arrêté) | 57 | 57 | 19 536 |
2+ (crime de groupe) | 42 | 48 | 11 276 |
Source: Programme DUC 2, base de données sur les tendances.
L'analyse des données du Programme DUC 2 porte à croire que l'adolescent commettant une infraction avec un ou plusieurs complices est moins susceptible d'être accusé, même lorsque les autres facteurs sont contrôlés (Tableau V.11). Cependant, si l'on contrôle les facteurs connexes, la probabilité que les complices soient accusés augmente. Ceci est attribuable au fait que les crimes de groupe commis par les adolescents sont moins graves, tel le vol de « moins de … », et sont commis par des adolescents plus jeunes.
4.3 Co-contrevenant adulte
Nous avons également soulevé la question de savoir comment les policiers traitent les incidents où l'un des contrevenants est un adulte. La majorité des répondants (90 p. 100) étaient d'avis qu'il ne s'agissait pas d'un facteur ou que c'était un facteur mineur. Les opinions varient selon le type de service de police et la collectivité, de même que le grade et le lieu de service du policier. Presque tous les policiers de la Police provinciale de l'Ontario (PPO) ont mentionné ne pas tenir compte de la présence d'un co-contrevenant adulte lorsqu'ils décident comment traiter un incident mettant en cause des adolescents. Ils ont indiqué que l'adolescent doit être considéré comme un individu qui commet un crime et qu'assez souvent les adolescents sont assez futés pour orchestrer eux-mêmes le crime. Les agents de la PPO nous ont indiqué que la présence d'un adulte constituait un élément parmi d'autres, mais n'était pas une raison de modifier leur façon de traiter l'adolescent.
Les policiers des collectivités ayant un problème de gangs d'adolescents reconnus sont plus susceptibles de considérer la présence d'un co-contrevenant adulte comme un facteur ou un facteur important (17 p. 100) que ceux des autres collectivités (8 p. 100). Les policiers des collectivités ayant une importante population d'Autochtones hors réserve sont moins susceptibles de considérer la présence d'un adulte comme un facteur ou un facteur important (4 p. 100 par rapport à 12 p. 100).
Les policiers des enquêtes générales (SEG) sont beaucoup plus susceptibles (56 p. 100) de tenir compte, du moins dans une certaine mesure, de la présence d'un adulte dans leurs décisions sur les adolescents [97] que ne le sont les patrouilleurs (37 p. 100), les policiers de l'escouade jeunesse (23 p. 100), les policiers éducateurs (9 p. 100) ou les cadres (17 p. 100). Cette constatation s'explique par le type de dossiers jeunesses que traitent les détectives des SEG. Il s'agit surtout des crimes les plus graves ou de ceux qui exigent des enquêtes de suivi. De plus, bien que la majorité des intervenants et des surveillants ne considèrent pas la présence d'un adulte comme étant un facteur, les surveillants sont plus portés (43 p. 100) que les intervenants (26 p. 100) à y voir un facteur mineur.
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