Pouvoir discrétionnaire de la police à l'égard des jeunes contrevenants
V.Facteurs conjoncturels influant sur le pouvoir discrétionnaire de la police
3.0 Le rôle de la victime
Les préférences de la victime, le type de victime et la relation entre la victime et le contrevenant sont des domaines qui n'ont pas fait l'objet de recherches approfondies au Canada. Doob (1983) se montre ambivalent quant à l'incidence de la préférence exprimée par la victime : d'une part, « [TRADUCTION]…les victimes semblent jouer un rôle important dans la démarche qui amène un adolescent devant un bureau des jeunes et dans le traitement final du cas par ce dernier »
; par l'analyse de régression multiple, on a constaté que le souhait de la victime avait une importance significative sur le mode de traitement (1983 : 159 à 161); d'autre part, « [TRADUCTION]…les policiers étaient polis avec les victimes, mais ont expliqué que la décision quant à la façon de procéder relevait uniquement d'eux …la victime ne jouant pas un rôle important en
raison de la nature du processus décisionnel »
(1983 :160 et 161; italique dans l'original). Ericson (1982) a constaté que la police s'est conformée aux souhaits du plaignant, en tout ou en partie, dans les deux tiers des cas qu'il a étudiés. [93] Quant à Carrington (1998a), il a constaté que des incidents impliquant une victime identifiée étaient plus susceptibles de mener à une accusation, donnant ainsi du poids à l'argument de Black et Reiss selon lequel le plaignant-victime peut contribuer de façon importante à la qualité de la preuve.[94] Carrington (1998a) a aussi constaté qu'il était plus de probable qu'une accusation soit portée si la victime et le contrevenant ne se connaissaient pas que si l'adolescent arrêté était un ami ou un membre de la
famille de la victime.
Nous avons demandé aux policiers si le souhait du plaignant, le type de victime (individu ou entreprise) ou la relation entre l'adolescent arrêté et la victime (ami, famille, étranger) avait une incidence sur la décision. On trouve un résumé des réponses au tableau V.7.
Pas un facteur | Facteur mineur | Facteur | Facteur important | N | |
---|---|---|---|---|---|
Préférence de la victime | 4% | 40 % | 40 % | 16% | 120 |
Type de victime | 81 % | 16 % | 3 % | 0% | 95 |
Relation avec le contrevenant | 60 % | 30 % | 10 % | 0% | 93 |
3.1 La préférence de la victime sur la façon de traiter l'incident
Les répondants étaient à peu près également divisés sur la question de savoir s'ils prenaient en compte de façon constante les préférences de la victime. Ainsi, 44 p. 100 d'entre eux ont indiqué que ce facteur avait très peu ou aucune incidence sur leur décision. Cependant, selon d'autres, le public était leur employeur et le fait d'écouter la victime et de donner suite à ses désirs était un aspect essentiel de la bonne exécution de leurs fonctions. Selon de nombreux policiers, il y a problème si la victime souhaite que l'adolescent soit accusé pour une infraction relativement mineure, mais que le policier est d'avis qu'il serait préférable de recourir à des mesures officieuses ou à des mesures de rechange, compte tenu de la nature de l'infraction et des caractéristiques de l'adolescent. C'est cet exemple hypothétique qui a particulièrement suscité des opinions contradictoires sur le poids accordé à la préférence de la victime. La majorité des policiers, qui ont classé la préférence de la victime comme facteur secondaire, ont indiqué qu'on devait trouver un équilibre entre les droits de la victime et les exigences de l'administration de la justice. Souvent, les policiers prendront beaucoup de temps pour expliquer aux victimes pourquoi le recours à des mesures de rechange ou à un groupe consultatif serait une meilleure façon de procéder pour des crimes comme le méfait ou le vol mineur. De nombreux policiers ont cité l'exemple hypothétique d'un gérant de magasin qui insiste pour que des accusations soient portées contre un adolescent pris en flagrant délit de vol à l'étalage. Les policiers peuvent fort bien décider qu'une mesure de rechange conviendrait davantage et diraient alors poliment, mais fermement, que la décision incombe non pas à la victime mais à eux. (cf. Doob, 1983: 160).
Les policiers des zones rurales ou des petites villes sont plus portés à considérer la préférence de la victime comme un facteur (47 p. 100) ou facteur important (20 p. 100) que ceux dans les banlieues et les régions exurbaines (36 p. 100 / 18 p. 100) ou métropolitaines (35 p. 100 / 10 p. 100). Ces différences donnent du poids à l'idée que les policiers des zones rurales ou des petites villes sont davantage influencés par l'opinion publique ou leur perception des attentes du public. De même, les policiers dans les territoires où se trouve une réserve de Premières nations sont plus susceptibles de considérer la préférence de la victime comme un facteur ou un facteur important (65 p. 100 par rapport à 54 p. 100 des policiers d'autres services de police).
Les policiers sont moins portés à considérer la préférence de la victime comme un facteur ou un facteur important dans les collectivités ayant «beaucoup » de crimes commis par des adolescents (45 p. 100), plutôt qu'un « nombre normal » (63 p. 100) ou « très peu » (83 p. 100). Il en est de même dans les collectivités où il existe un problème reconnu de crimes graves par les adolescents sur les biens (45 p. 100 par rapport à 70 p. 100 des policiers dans d'autres collectivités) ou de crimes graves de violence par les adolescents (48 p. 100 par rapport à 58 p. 100) ou de problèmes de gangs (48 p. 100 par rapport à 58 p. 100). Il semblerait que les policiers soient moins en mesure de répondre aux attentes de la victime lorsque les crimes sont nombreux ou graves ou qu'ils aient moins tendance à le faire. De plus, les policiers sont moins susceptibles de considérer la préférence de la victime comme facteur, ou facteur important, dans les collectivités où les infractions relatives à l'administration de la justice mettent souvent en cause des adolescents (49 p. 100 par rapport à 60 p. 100).
Dans la totalité des territoires et des provinces, les policiers prennent en compte la préférence de la victime, mais à des degrés différents. Le tableau V.1 illustre les variations régionales. Il y a également de petites variations entre les policiers qui travaillent dans des services desservant des populations autochtones et les autres. Dans les deux cas, la majorité des policiers estiment que la préférence de la victime est un facteur ou un facteur important. Cependant, les agents travaillant dans des territoires desservant une réserve des Premières nations sont plus susceptibles de considérer la préférence de la victime comme un facteur ou facteur un important (65 p. 100) que ceux qui n'y travaillent pas (54 p. 100). Il n'y a pas de différences significatives quant aux policiers des services œuvrant auprès d'Autochtones hors réserve.
Nos données laissent entendre que le sexe du policier influe sur l'importance accordée à la préférence de la victime, les policières étant plus portées (67 p. 100) à en tenir compte que les policiers (57 p. 100).
Figure V.1 Répartition régionale de l'opinion quant à l'incidence de la préférence de la victime
Le grade du policier et le lieu du service ont également une incidence sur l'importance accordée à la préférence de la victime dans la prise de décision. Les policiers cadres y attachent moins d'importance que ceux sur le terrain. Quarante-trois pour cent des premiers comparativement à 60 p. 100 des autres y voient un facteur ou un facteur important dans la prise de décision. Le lieu du service a également une incidence (Figure V.2).
En majorité (71 p. 100), les policiers travaillant dans une escouade jeunesse sont moins influencés par la préférence de la victime, n'y voyant qu'un facteur mineur ou secondaire. Par contre, ceux qui travaillent comme patrouilleurs, qui font la liaison avec les écoles ou travaillent aux enquêtes générales sont plus portés à considérer la préférence de la victime comme facteur ou facteur important. Des membres de l'escouade jeunesse nous ont dit que leur préoccupation principale est l'adolescent et pas seulement les caractéristiques de l'infraction. Ils estiment que leur rôle est de trouver le meilleur plan d'action pour l'adolescent. Ainsi, la préférence de la victime est généralement prise en compte après d'autres facteurs, tels que la gravité de l'infraction et les antécédents judiciaires.
Le nombre d'années d'expérience du policier avait un impact sur l'importance accordée à la préférence de la victime. La grande majorité (83 p. 100) des policiers ayant cinq ans ou moins d'expérience étaient d'avis qu'il s'agissait d'un facteur ou d'un facteur important, tandis que 56 p. 100 seulement des policiers ayant au moins six années d'expérience étaient de cet avis.
3.2 Type de victime
Les policiers, en grande majorité (81 p. 100), ne tiennent pas compte du type de victime (particulier ou entreprise) lorsqu'ils décident quoi faire lors d'un incident mettant en cause un adolescent. Seize pour cent estiment qu'il s'agit d'un facteur mineur ou secondaire et 3 p. 100 ont dit qu'il s'agissait d'un facteur. Aucun n'a indiqué qu'il s'agissait d'un facteur important. Les policiers œuvrant dans des collectivités qui connaissent un grave problème de crimes violents commis par des adolescents sont plus susceptibles de tenir compte du type de victime (10 p. 100 par rapport à 1 p. 100 des policiers des autres collectivités). Ceux œuvrant dans des collectivités ayant un problème de prostitution juvénile sont moins susceptibles d'en tenir compte, tous ayant (100 p. 100) indiqué que cela n'influait pas sur leurs décisions.
3.3 Relation victime-contrevenant
Presque tous nos répondants (90 p. 100) ne percevaient pas la relation entre le contrevenant et la victime comme significative (c'est-à-dire comme un facteur ou un facteur important) dans leur décision. Il y avait cependant des variations selon le genre de collectivité. La relation entre la victime et le contrevenant est plus susceptible d'être citée comme facteur ou facteur important par les policiers des zones rurales ou des petites villes (54 p. 100) que ceux des banlieues (47 p. 100) ou des zones métropolitaines (23 p. 100). Nous avançons de nouveau l'hypothèse de l'anonymat relatif des grandes villes. Les policiers des collectivités ayant un problème reconnu de gangs d'adolescents étaient un peu plus susceptibles (47 p. 100 par rapport à 38 p. 100 des policiers d'autres collectivités) de considérer la relation entre la victime et le contrevenant comme un facteur un ou facteur important dans leur prise de décision.
L'analyse des données du Programme DUC 2 porte à croire que la relation entre une victime et un adolescent arrêté joue un rôle significatif dans la décision de porter des accusations, même lorsque d'autres facteurs pertinents sont contrôlés (Tableau V.8). (Cette variable est seulement codée dans le Programme DUC 2 pour des infractions contre les personnes). La probabilité d'accusations est plus grande si la victime est un parent ou un ami proche et moindre s'il s'agit d'un autre membre de la famille (présumément un frère ou une sœur) ou d'une connaissance. Quant aux autres circonstances de l'incident, les différences de pourcentage diminuent beaucoup lorsqu'on contrôle d'autres facteurs, parce que les adolescents tendent à commettre certains types d'infractions contre certains types de personnes : les vols qualifiés et voies de fait graves contre des étrangers et les agressions sexuelles de niveau 1 contre des frères, des sœurs ou des amis proches (Tableau V.9).
Relation adolescent-victime | % accusés | % accusés rajusté |
N |
---|---|---|---|
Parent | 78 | 67 | 179 |
Étranger | 74 | 50 | 1 501 |
Ami | 64 | 54 | 338 |
Autre famille | 57 | 47 | 786 |
Connaissance | 57 | 38 | 4 390 |
Source: Programme DUC 2, base de données sur les tendances.
Parent | Autre famille |
Ami proche |
Connais- sance |
Étranger | |
---|---|---|---|---|---|
Type d'infraction | % | ||||
Voies de fait et agression sexuelle, niveau 2 | 11,2 | 16,8 | 15,4 | 14,9 | 19,0 |
Vol qualifié | 0,6 | 0,0 | 2,4 | 4,9 | 29,8 |
Divers, acte criminel, personne | 1,7 | 0,5 | 5,6 | 1,5 | 2,3 |
Agression sexuelle, niveau 1 | 2,2 | 14,4 | 9,5 | 4,2 | 1,2 |
Voies de fait, niveau 1 | 62,0 | 51,5 | 47,3 | 53,5 | 29,4 |
Divers, sommaire & mixte personne | 22,3 | 16,8 | 19,8 | 21,1 | 18,2 |
Source:Programme DUC 2, base de données sur les tendances.
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