Pouvoir discrétionnaire de la police à l'égard des jeunes contrevenants
II. Profil descriptif
3.0 Mesures officieuses
Lorsque les agents décident de ne pas porter d'accusation (ou de ne pas recommander d'en porter, ni de recommander le recours aux mesures de rechange), ils ont alors le choix parmi plusieurs types de mesures officieuses. Ils peuvent donner un avertissement officieux ou officiel, inviter les parents ou les services sociaux à participer, arrêter et interroger le jeune au poste de police puis le remettre en liberté, le diriger vers un programme d'intervention dans la collectivité, ou tout simplement ne prendre aucune mesure sauf, éventuellement, remplir un constat de police (Bala et coll., 1994a). Selon Mueller et Heck (1997 : 16) :
[Traduction]
Un certain nombre de criminologues (y compris Tittle, 1980; Braithwaite, 1989; Sampson et Laub, 1993) ont fait valoir que les sanctions officieuses ont plus de poids et sont plus économiques que les sanctions officielles que les policiers peuvent appliquer pour lutter contre la criminalité chez les jeunes.
On connaît peu de choses sur l'utilisation des mesures officieuses par les policiers au Canada ou sur leurs pratiques de sélection (Hackler et Don, 1990). Selon certains auteurs, on traite les cas des jeunes contrevenants de manière officieuse pour les crimes moins graves (Ericson et Haggerty, 1997; Meehan, 1993). On remarque une baisse de l'utilisation des mesures officieuses depuis l'entrée en vigueur de la LJC (voir la section 1.2 ci-dessus; Carrington 1999; Carrington et Moyer, 1994; Schissel, 1993). On a constaté que les avertissements officieux étaient plus fréquents dans les zones rurales ou chez les policiers en milieu scolaire que chez les policiers de première ligne (Hornick et coll., 1996), ce qui soulève la possibilité que les agents des régions rurales et les policiers éducateurs pourraient utiliser cette approche avec les jeunes parce qu'ils connaissent bien leur « clientèle ».
Une étude britannique donne à penser que l'utilisation des avertissements officieux est en grande partie influencée par le soutien idéologique et administratif au sein d'un service (Steer, 1970). Bien que les avertissements officiels (« mises en garde ») inscrits au dossier soient utilisés par les polices des autres pays, il n'y a pas de preuve dans la documentation qu'ils soient actuellement utilisés au Canada, même si les lettres de mise en garde délivrées par le ministère public sont utilisées dans certaines provinces comme mesures de rechange (Engler et Crowe, 2000; Groupe de travail, 1996). Cependant, nous avons constaté l'utilisation de lettres de mises en garde par certains services de police au Canada (voir section 3.4 ci-dessous).
3.1 Fréquence d'utilisation des mesures officieuses
3.1.1 Données statistiques
Les renseignements statistiques sur l'utilisation des mesures officieuses et de déjudiciarisation avant le dépôt d'accusations par les policiers peuvent être obtenus du Programme de déclaration uniforme de la criminalité fondée sur l'affaire (DUC 2), géré par le Centre canadien de la statistique juridique. Ce programme, qui fonctionne en parallèle avec le Programme DUC, vise à recueillir des données sur les caractéristiques des incidents particuliers, des contrevenants arrêtés et des victimes. Ainsi, il peut fournir des données beaucoup plus détaillées que celles, globales, provenant du Programme DUC traditionnel. Par contre, l'un des inconvénients de ce programme est qu'il est relativement récent et que certains services de police n'y participent pas encore. Bien qu'il ait été mis en œuvre en 1998, il n'a pas réussi à offrir un profil significatif de la criminalité enregistrée au Canada jusqu'en 1995, où il comprenait 42 p. 100 de tous les incidents consignés au Canada et 50 p. 100 des adolescents ayant fait l'objet d'accusations (Centre canadien de la statistique juridique, 2003). En 2001, le programme couvrait 59 p. 100 des incidents consignés au Canada et 71 p. 100 des adolescents ayant fait l'objet d'accusations (ibid.). Pour l'année 2001, le Programme DUC 2 couvre pratiquement l'ensemble de la province de Québec, une grande partie de l'Ontario (y compris la PPO et treize services de police municipaux indépendants), et un petit nombre de services de police municipaux dans chacune des autres provinces sauf l'Île-du-Prince-Édouard. Sa principale lacune est la GRC, qui assure les services de police dans la plupart des zones rurales et des petites municipalités du Canada et dans de nombreux grands centres à l'extérieur de l'Ontario et du Québec; mais bon nombre de services de police municipaux indépendants manquent également à l'appel. Ainsi, la distribution des variables dans le Programme DUC 2 peut ne pas être représentative du Canada dans son ensemble (Centre canadien de la statique juridique, 2002a).
Les renseignements détaillés du Programme DUC 2 peuvent offrir un complément utile aux renseignements limités disponibles dans le Programme DUC. Le Programme DUC 2 consigne le « classement de l'incident ». Les incidents que l'on peut classer (c. à d. ceux pour lesquels on a identifié au moins un suspect contre qui on peut porter des accusations ou « un accusé »), sont classés en fonction de deux catégories : « classés par dépôt d'accusations » (au moins l'un des suspects de l'incident a fait l'objet d'accusations) ou « classés sans dépôt d'accusations ». Dans le cas des incidents qui sont classés sans dépôt d'accusations, les motifs donnés par les policiers pour ne porter des accusations contre aucun des suspects, sont ventilés en fonction de plusieurs rubriques indiquées au tableau II.3.
Tableau II.3 Classification des différents types de classement de l'incident dans le Programme DUC 2
Classés par dépôt d'accusations
Aucune accusation portée, pour des motifs indépendant de la volonté des services de police
- Suicide de l'accusé
- Décès de l'accusé (autre que le suicide)
- Décès d'un témoin clé ou du plaignant
- Politique externe du service (p. ex., directives du procureur général)
- Immunité diplomatique de l'accusé
- Accusé de moins de 12 ans
- Accusé interné dans un hôpital psychiatrique
- Accusé se trouvant dans un pays étranger et ne pouvant revenir
Aucun dépôt d'accusations, pouvoir discrétionnaire (la police pouvait porter des accusations mais a décidé de ne pas le faire)
- Le plaignant refuse de porter plainte (c.-à-d. de coopérer avec la police)
- L'accusé a fait l'objet d'accusations pour d'autres incidents
- L'accusé purge déjà une peine dans un établissement pénitenciaire
- Autres motifs discrétionnaires
- Il y a déjudiciarisation et l'accusé est dirigé vers un programme de mesures de rechange avant l'accusation
Source : Centre canadien de la statistique juridique, 2002b.
Nous avons regroupé ces divers types de classement des incidents en quatre catégories :
- 1) classé par dépôt d'accusations,
- 2) aucune accusation portée pour des motifs indépendants de la volonté du service de police,
- 3) aucune accusation portée en raison de mesures officieuses (tous des motifs « discrétionnaires » sauf la déjudiciarisation), et
- 4) aucune accusation portée en raison de la déjudiciarisation de l'accusé au moyen de mesures de rechange.
La figure II.5 montre la répartition des types de classement pour les incidents impliquant au moins un adolescent arrêté par la police, pour tous les répondants du Programme DUC 2 en 2001.
Figure II.5 Types de classement des incidents, tous les répondants du Programme DUC 2, 2001
Source : Programme de DUC fondée sur l'affaire, 2001.
Selon le Programme DUC (Figure II.2), la proportion des incidents classés par accusations est de 74 p. 100, ce qui est considérablement plus élevé que la proportion des adolescents arrêtés qui ont fait l'objet d'accusations au Canada en 2000 (59 p. 100). Cette divergence peut être attribuée à plusieurs raisons. L'une d'entre elles est le fait d'avoir omis la GRC et les autres services de police qui déposent moins d'accusations que les services de police participant au Programme DUC 2 (voir la section 1.2.2). De plus, bon nombre d'incidents impliquant un adolescent comportent plus d'un accusé (Carrington, 2002), et si l'un des co-accusés fait l'objet d'accusations, l'incident est alors « classé par accusations ». Par exemple, s'il y a deux co accusés, et qu'un seul fait l'objet d'accusations, l'incident est consigné dans le Programme DUC 2 comme étant « classé par accusations » sous la variable classement de l'incident, mais on inscrit un contrevenant accusé et un contrevenant non accusé sous la variable « accusation », à partir de laquelle nous avons calculé que 59 p. 100 des adolescents arrêtés faisaient l'objet d'accusations en 2000. En outre, certains des incidents saisis à la figure II.5 comportent un co-contrevenant adulte, et les adultes sont plus susceptibles de faire l'objet d'accusations que les jeunes (Carrington, 2002); ainsi, lorsque l'un des co-contrevenants de cet incident est accusé, l'incident est « classé par accusations ».
Le fait que seulement 2 p. 100 de tous les incidents, ou 8 p. 100 des incidents « classés sans accusations » comportent « des motifs indépendants de la volonté du service de police »
confirme qu'il est raisonnable, lorsqu'on analyse les données de l'ensemble du Programme DUC, d'utiliser la variable « proportion d'adolescents arrêtés non accusés »
comme indicateur de l'exercice du pouvoir discrétionnaire des policiers (comme dans la section 1.2.1 ci-dessus). Si une grande proportion des incidents qui ont été « classés sans accusations » comportait des motifs qui étaient indépendants de la volonté de la police, « pas d'accusation » serait alors un bon indice de l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la police.
Parmi les 24 p. 100 d'incidents impliquant un adolescent et classés sans accusations en raison du recours au pouvoir discrétionnaire, le tiers a été classé par des mesures de rechange, et les deux tiers, au moyen de mesures officieuses. Ceci entraîne une sous-estimation de la proportion des cas d'adolescents arrêtés traités au moyen de mesures officieuses et de façon officieuse, parce que dans bon nombre d'incidents où on arrête plus d'une personne, l'incident est classé en fonction de la « mesure policière » la plus sévère. Ainsi, lorsque l'un des co-contrevenants fait l'objet d'accusations et que les autres sont dirigés vers des mesures de déjudiciarisation ou des mesures officieuses, l'incident est alors « classé par accusations ». Par ailleurs, si aucun des contrevenants n'est accusé mais que l'un des adolescents est renvoyé à un programme de mesures de rechange, et que les autres font l'objet de mesures officieuses, l'incident est alors « classé sans accusations : déjudiciarisation ».
Figure II.6 Classement des incidents impliquant un adolescent, répondants de la base de données sur les tendances du Programme DUC 2, 1995 à 2001
Source : Programme de DUC fondée sur l'affaire, base de données sur les tendances, 1995 à 2001.
Nous illustrons à la figure II.1 la tendance, depuis 1995, du classement des incidents impliquant un adolescent consignés dans un sous-échantillon de services de police participant au Programme DUC 2[9]. Il n'existe aucune tendance au fil du temps : la proportion des incidents classés par accusations fluctue autour de 68 p. 100 à 70 p. 100, et la proportion des incidents classés par des mesures officieuses ou de rechange fluctue autour de 20 p. 100 à 22 p. 100 et 7 p. 100 respectivement[10]. La proportion totale des incidents classés par accusations est moins élevée qu'à la figure II.5, et plus semblable aux proportions d'adolescents arrêtés ayant fait l'objet d'accusations présentées dans les tableaux II.3 et II.4, parce que certains des services de police compris dans les données présentées à la figure II.5, notamment la PPO, ont des proportions relativement élevées d'adolescents ayant fait l'objet d'accusations et d'incidents impliquant un adolescent classés par accusations (voir section 1.2.2 ci-dessus).
À la figure II.7, nous donnons le classement des incidents impliquant un adolescent dans les services de police de cinq provinces participant au Programme DUC 2. Le nombre de services de police est indiqué entre parenthèses après le nom de la province. Comme à la figure II.5, la proportion des incidents classés par accusations est plus élevée dans chaque province que la proportion des adolescents accusés consignés dans le Programme DUC (Tableau II.1 ci-dessus). Nous avons analysé ci-dessus les motifs justifiant ceci.
Figure II.7 Classement des incidents impliquant un adolescent, tous les répondants du Programme DUC 2, par province, 2001
Source : Programme de la DUC fondée sur l'affaire, 2001.
Remarque : puisque très peu de services de police de Terre-Neuve, de la Nouvelle-Écosse, du Manitoba, et de la Colombie-Britannique ont participé au Programme DUC 2 en 2001, nous ne les avons pas inclus afin de ne pas fausser les résultats de cette analyse.
La proportion des incidents classés au moyen de mesures officieuses varie de 12 p. 100 en Alberta (où seulement quatre services de police participent au Programme DUC 2) à 25 p. 100 au Québec. Il vaut la peine de mentionner que bien que les services de l'Ontario ayant participé au Programme DUC 2 en 2001 présentent un taux d'accusations relativement élevé (80 p. 100 des incidents impliquant un adolescent ont été classés par accusations; cf. figure II.3 et tableau II.1, plus haut), il semble que ceci soit entièrement attribuable à la non-disponibilité des mesures de rechange avant le dépôt d'accusations. Dans ces services, le taux de traitement des incidents impliquant un adolescent au moyen de mesures officieuses (19 p. 100) n'est surpassé que par celui déclaré par les services de police du Québec. Dans le même ordre d'idées, le taux global d'accusations encore plus élevé signalé pour les quatre répondants de la Saskatchewan (83 p. 100) est principalement attribuable à l'utilisation minimale des mesures de rechange avant le dépôt d'accusations. En effet, leur taux de recours aux mesures officieuses (14 p. 100) n'est pas moins élevé que ceux du Nouveau-Brunswick et de l'Alberta.
3.1.2 Données tirées des entrevues
Nous avons demandé aux policiers dans quelle mesure leur service de police avait recours aux mesures officieuses avec les jeunes contrevenants et classé leur réponse en quatre catégories. La réponse toujours a été utilisée lorsque les agents mentionnaient qu'à leur avis, il y avait toujours lieu d'avoir recours aux mesures officieuses dans presque toutes les situations. Ce qui ne veut toutefois pas dire qu'ils ne procèdent pas, en bout de ligne, au dépôt d'accusations. Dans certaines circonstances où il existe suffisamment de preuves pour porter plusieurs accusations, l'agent peut toutefois envisager de traiter certaines des accusations ou l'ensemble de celles-ci de manière officieuse si possible. La réponse habituellement a été fournie par les agents qui ont mentionné envisager des mesures officieuses dans la plupart des cas; ils ont toutefois apporté quelques nuances pour justifier leur décision. Par exemple, un policier pourrait ne pas juger approprié d'exercer son pouvoir discrétionnaire dans les cas d'infractions à l'administration de la justice, d'infractions graves, ou si un adolescent a un casier judiciaire chargé. La réponse à l'occasion veut dire que les agents envisagent le recours aux mesures officieuses uniquement pour les infractions mineures ou très mineures comme les vols à l'étalage ou les méfaits. La réponse jamais indique que l'agent n'aura recours qu'au dépôt d'accusations ou à des mesures de rechange. Ces agents estimaient qu'il ne leur appartenait pas de choisir le recours aux mesures officieuses, ou avaient certaines préoccupations au sujet de leur propre responsabilité (p. ex., un superviseur pouvant remettre en question leur jugement). La figure II.8 offre un résumé de la répartition de notre échantillon, en ce qui a trait à la fréquence à laquelle les agents des services de police de l'échantillon nous ont dit avoir recours aux mesures officieuses.
Plus des trois quarts (78 p. 100) des services de police de notre échantillon ont mentionné qu'ils envisagent habituellement ou toujours le recours aux mesures officieuses avec les jeunes. Seulement 22 p. 100 des services de la police ont mentionné qu'ils ne jugeaient jamais approprié, sinon occasionnellement, le recours aux mesures officieuses. Leurs réponses variaient selon le type de service de police, le type de collectivité, la province ou le territoire, et le lieu du service.
Figure II.8 Fréquence à laquelle les services de police envisagent le recours aux mesures officieuses
Dans une proportion de 76 p. 100, les services de police provinciaux sont plus susceptibles d'envisager « habituellement » le recours aux mesures officieuses avec les jeunes par comparaison à 43 p. 100 des services de police municipaux indépendants. Lorsque l'on regarde la fourchette des réponses, celles de la police municipale indépendante sont réparties plus largement dans la fourchette « jamais » à « toujours » (p. ex., 30 p. 100 de ceux-ci ont répondu « à l'occasion »); en contre-partie, les réponses de la GRC et des détachements de la PPO se regroupent dans les catégories « habituellement » et « toujours ».
Si l'on examine le recours aux mesures officieuses par type de collectivité, l'on peut dégager deux profils de réponses intéressants. Tout d'abord, il n'existe pratiquement aucune différence par type de collectivité lorsque l'on analyse les services qui envisagent « habituellement » le recours aux mesures officieuses avec les jeunes. Cependant, dans une proportion importante, les services des banlieues et régions exurbaines (41 p. 100) n'envisagent « jamais », sinon « à l'occasion », le recours aux mesures officieuses, comparativement à 17 p. 100 seulement des services policiers des régions métropolitaines et à 19 p. 100 des services des régions rurales et des petites municipalités. Autrement dit, les forces policières des régions métropolitaines et celles des régions rurales et des petites municipalités, dans une proportion de 83 p. 100 et 81 p. 100 respectivement, étaient beaucoup plus susceptibles que les forces policières des banlieues et des régions exurbaines d'envisager des mesures officieuses « habituellement » ou « toujours ».
Dans toutes les régions du Canada, la majorité des services de police de l'échantillon envisagent « habituellement » le recours aux mesures officieuses avec les jeunes contrevenants. C'est le cas pour 100 p. 100 des détachements des territoires.
D'après la documentation, les policiers éducateurs pourraient avoir davantage recours aux mesures de déjudiciarisation parce qu'ils sont plus près de leur clientèle. Toutefois, jusqu'à maintenant, peu d'études appuient cette théorie, et celles qui existent ont été menées sous le régime de la Loi sur les jeunes délinquants (Doob, 1983; Leeson et Snyder, 1981). Les trois quarts (75 p. 100) des agents qui travaillent dans une escouade d'intervention auprès des jeunes ou qui sont agents de liaison avec les écoles nous ont dit envisager « habituellement » ou « toujours » le recours aux mesures officieuses. A l'opposé, 59 p. 100 des policiers de tous les autres points de service (p. ex., patrouille, service des enquêtes générales, poste de gestion) envisagent des mesures officieuses « habituellement » ou « toujours ». Ainsi, nos données laissent penser que les escouades d'intervention auprès des jeunes et les policiers éducateurs sont plus susceptibles d'envisager de manière constante le recours aux mesures officieuses en tant que méthode légitime de traiter les incidents impliquant un adolescent. Nous analysons plus en détail à la section 4 du chapitre IV le rôle des policiers spécialisés auprès des jeunes.
3.2 Renvoi à des organismes externes
Près des deux tiers (62 p. 100) des forces de police de notre échantillon choisissent, dans le cas d'infractions mineures ou graves, le renvoi à des organismes externes. Il s'agit principalement d'organismes de services sociaux et, au Québec de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ). Il existe toutefois certaines différences entre les profils de réponses selon le type de service de police et selon la province ou le territoire.
Près des deux tiers (64 p. 100) des détachements de la police provinciale ont mentionné qu'ils ne dirigeaient jamais les jeunes vers des organismes externes, comparativement à 18 p. 100 des forces de police municipales indépendantes. Cette différence pourrait être attribuable à une moins grande disponibilité des ressources externes dans les régions où les détachements provinciaux travaillent. Nous pouvons creuser cette possibilité en examinant la répartition par type de collectivité et par province ou territoire. Les policiers de 43 p. 100 des forces ou détachements de police des banlieues et des régions exurbaines et de 49 p. 100 des services de police des régions rurales et des petites municipalités ont déclaré qu'ils n'ont jamais la possibilité d'effectuer des renvois à des organismes externes, comparativement à 23 p. 100 seulement des services de police des régions métropolitaines. Au Québec, tous les services ont effectué des renvois externes (principalement à la DPJ). Dans le même ordre d'idées, un peu plus de la moitié des services de police des provinces des Prairies et de l'Atlantique choisissent cette solution pour les infractions mineures ou graves. Cependant, en Colombie-Britannique et en Ontario, où se retrouvent la plupart des services de police des régions rurales et des petites municipalités de notre échantillon, les services, dans une plus grande proportion, déclarent qu'ils n'effectuent pas de renvoi ou alors uniquement pour des infractions mineures. Fait plus frappant, dans les territoires, 71 p. 100 des détachements interrogés n'ont pas la possibilité d'effectuer des renvois à des organismes externes en raison de l'absence de ressources en service social ou communautaire dans leur territoire.
Le thème suivant revenait constamment au cours des entrevues et paraîtra sous divers titres au fil de ce rapport. Lorsque la police s'occupe du cas d'un adolescent et d'une infraction qui, à son avis, requiert une intervention plus musclée qu'une simple mesure officieuse, mais qu'elle hésite à recourir au système judiciaire en portant des accusations, le renvoi à un organisme ou à un programme, soit de manière officieuse ou par le biais des mesures de rechange, constitue une « sanction de sévérité moyenne » intéressante. Cependant, dans un grand nombre de cas, une telle solution n'est pas disponible, et les policiers doivent avoir recours au dépôt d'accusations. Nous analysons ce thème en profondeur à la section 3 du chapitre III, intitulée Ressources externes.
3.3 Suivi des avertissements officieux
À l'échelle du pays, la fréquence à laquelle le recours aux mesures officieuses est consigné dans le système de gestion des dossiers (SGD) varie beaucoup. La réponse rarement émane des services de police qui ne consignent pas au dossier les mesures officieuses, sauf en de rares circonstances où l'agent croit que cela très important. Ceci pourrait être attribuable au fait que les gestionnaires et les superviseurs ne favorisent pas le recours aux mesures officieuses ou, dans le cas du Québec, au fait que le système de mesures de rechange est très efficace. La réponse parfois a été fournie par les services de police où les avertissements officieux ne sont pas consignés de manière constante au SGD. La réponse habituellement provient les services de police où l'on s'attend à ce que les agents inscrivent au registre les avertissements
officieux et où, de manière générale, on croit que c'est habituellement le cas. La réponse toujours émane des services de police où il est obligatoire de créer un dossier pour tout type d'infraction mettant en cause un adolescent. Enfin, la réponse selon l'agent veut dire « en autant que l'agent l'ait consigné »
. Nous avons créé cette catégorie parce que certains agents mentionnaient que leur service de police se situait dans la catégorie « toujours », mais que la directive ou la règle non écrite voulant que toute mesure officieuse soit consignée n'était pas toujours suivie. Par exemple, un agent qui découvre un incident mineur sur le terrain ne crée pas toujours une entrée dans le SGD. Plusieurs agents font valoir que dès qu'une note est versée au SGD, la mesure prise par l'agent n'est plus officieuse puisqu'un dossier a
été créé. D'autres ont laissé entendre que par manque de temps, ils ne peuvent pas tout consigner dans le SGD.
Dans une grande proportion, les personnes interrogées ont laissé entendre que l'inscription au dossier d'une mesure officieuse suit l'un des deux scénarios types suivants. Dans le premier cas, un incident est signalé par un citoyen, et une note est presque toujours versée au SGD. Dans le deuxième cas, les policiers prennent des mesures officieuses lorsqu'ils découvrent par hasard un incident sur le terrain. Et c'est dans ces circonstances qu'il peut y avoir ou non une entrée au SGD. La figure II.9 illustre cette variation par service de police.
Figure II.9 Suivi des avertissements officieux dans le SGD
Un peu plus des deux tiers (67 p. 100) des services de police de notre échantillon ont déclaré inscrire « habituellement » ou « toujours » une mesure officieuse au SGD. Une proportion de 7 p. 100 mentionne que cela dépend de chaque policier. Cependant, la fréquence à laquelle les policiers inscrivent les avertissements officieux varie en fonction du type de service de police, du type de collectivité, et de la province ou territoire.
Dans une proportion de 70 p. 100, les forces policières provinciales sont plus susceptibles d'inscrire au SGD le recours aux mesures officieuses. Parmi les services municipaux indépendants, la fourchette varie de « rarement » à « toujours », et 10 p. 100 mentionnent qu'ils n'inscrivent jamais au SGD les avertissements officieux. Un peu moins de la moitié des services de police des régions métropolitaines et des banlieues et régions exurbaines (43 p. 100 et 47 p. 100 respectivement) ont déclaré qu'ils inscrivaient « toujours » le recours à des mesures officieuses. Cependant, il existait une variation un peu plus importante en ce qui concerne les pratiques d'inscription dans les services de police des régions rurales et des petites municipalités, où 33 p. 100 ont déclaré qu'ils inscrivaient « habituellement » le recours aux mesures officieuses et aux avertissements officieux. Pour la plupart, les services de police du Canada déclaraient « toujours » consigner les mesures et les avertissements officieux. Cependant, 38 p. 100 des services de police des Prairies de l'échantillon ont déclaré qu'ils consignaient « parfois » le recours aux mesures officieuses.
De toute évidence, il y a place à amélioration, en ce qui a trait au suivi des avertissements officieux. Mais de par la nature des mesures officieuses, certaines d'entre elles, voire même la plupart, ne seront jamais consignées.
3.4 Recours aux avertissements officiels ou officieux pour les adolescents
Les avertissements officieux consistent généralement en une conversation entre le policier et l'adolescent accompagné de ses parents au sujet de son comportement, et en une mise en garde selon laquelle la prochaine infraction entraînera une mesure officielle. Comme on peut le lire dans un manuel à l'intention des étudiants en maintien de l'ordre, [Traduction] « …il n'est pas inhabituel pour un agent de faire la leçon ou de donner un avertissement sévère à un adolescent, l'avisant des conséquences auxquelles il s'expose s'il est arrêté »
(Dantzker et Mitchell, 1998 : 5). Comme nous l'avons mentionné précédemment, on observe de vastes écarts en ce qui concerne la question de savoir si cet avertissement officieux est consigné au dossier.
Selon la façon dont l'entendent les personnes interrogées, l'avertissement officiel consiste généralement, pour un policier, à consigner un incident au SDG ou même, à l'occasion, à faire parvenir à l'adolescent et à ses parents une lettre exposant le comportement criminel et à lui délivrer un avertissement de la police (ou du ministère public, sur recommandation de la police).
En grande majorité, les services de police de notre échantillon (93 p. 100) ont mentionné avoir recours aux avertissements officieux avec les adolescents. De plus, 32 p. 100 des services ont mentionné qu'ils utilisaient une certaine forme d'avertissement officiel. Toutefois, la nature des avertissements officiels varie considérablement entre les services qui ont répondu par l'affirmative. Par exemple, dans un service de police de l'Ontario, l'escouade jeunesse délivre les lettres et demande à l'adolescent et à ses parents (ou à son tuteur légal) de signer le document. Dans certaines autres administrations, la police recommande au ministère public de signifier une lettre de mise en garde. D'autres services versent au SGD des notes exhaustives.
Il existe certaines variations entre provinces ou territoires en ce qui a trait au recours aux avertissements officieux et officiels. Au Québec, 25 p. 100 des services de police de notre échantillon n'ont pas mentionné le recours à des avertissements officieux pour les adolescents. Dans les autres régions du Canada, les chiffres varient de 0 p. 100 à 9 p. 100. Au Québec, peut être est-ce un indice de l'effet d'élargissement du filet : le recours généralisé aux mesures de rechange pouvant nuire aux autres formes de recours officieux.
Les Prairies, la région de l'Atlantique, et les territoires tendent à recourir aux avertissements officiels. Précisons que les services de Colombie-Britannique et les services de police interrogés au Québec, n'ont pas recours aux avertissements officiels dans une proportion de 92 p. 100 et 88 p. 100 respectivement, Toutefois, il faut interpréter avec prudence les données de la Colombie-Britannique, puisque les avocats du ministère public signifient fréquemment des mises en garde du ministère public. L'une des raisons pour lesquelles ceci n'apparaît pas dans nos données est que, selon les policiers de la Colombie-Britannique, ils sont rarement informés des décisions du ministère public. Par conséquent, ils ne savent pas à quelle fréquence celui-ci signifie des lettres de mise en garde. Au Québec, le faible taux de recours aux avertissements officiels suit la tendance à recourir aux avertissements officieux moins souvent que dans le reste du Canada.
Il semble y avoir une variation considérable dans le pays, et au sein même des services de police, de la compréhension de ce que constitue un avertissement officiel ou officieux. Si l'on désire que les mesures officieuses de cette nature soient consignées à des fins de suivi et de surveillance, par exemple dans le Programme DUC 2, il faudra faire des efforts importants d'éducation et de persuasion, pour en arriver à des définitions fonctionnelles cohérentes dans tout le pays.
3.5 Autres types de mesures officieuses
Nous illustrons à la figure II.10 plusieurs autres types de mesures officieuses auxquelles ont recours les agents lorsqu'ils traitent des incidents impliquant un adolescent (la somme des pourcentages dépasse 100 p. 100 puisque les réponses multiples étaient permises).
Figure II.10 Autres types de mesures officieuses
En majorité, les services de police (91 p. 100) croient que la participation des parents est obligatoire lorsqu'ils désirent traiter un incident impliquant un adolescent de manière officieuse. Nombre d'agents laissent entendre que l'efficacité des mesures officieuses dépend largement de la participation des parents. Un agent de l'Ontario nous a dit qu'il accordait beaucoup d'importance aux commentaires des parents, qu'il ne s'agissait pas seulement d'amener le jeune contrevenant à participer, mais aussi ses parents. À de nombreuses reprises, les agents ont mentionné qu'ils sont mieux outillés pour évaluer la situation lorsqu'ils obtiennent des renseignements directement des parents. Dans certains cas, les agents ont mentionné que le fait de croire que l'adolescent aurait à faire face aux conséquences de son comportement à la maison pouvait avoir une incidence importante sur leur décision. En effet,
lorsqu'un agent croit que papa ou maman s'occupera du comportement de l'adolescent, il est beaucoup plus enclin à ne pas porter d'accusations ou à aiguiller l'adolescent vers des mesures de rechange : [Traduction] « Occasionnellement, le meilleur châtiment qu'un agent puisse infliger à un adolescent est de le ramener à la maison et de le remettre à la garde de ses parents. »
(Dantzker et Mitchell, 1998 : 59)
Les trois quarts (75 p. 100) des services de police ont mentionné qu'ils ramèneront l'adolescent à la maison ou, si c'est absolument inévitable, au poste de police afin que les parents s'occupent de leur adolescent et prennent la situation en main. Dans la majorité des cas, ils ramènent l'adolescent directement à la maison. Cependant, dans certaines administrations, ils peuvent amener l'adolescent au poste pour qu'il subisse des « conséquences plus importantes » (c.-à-d. une sanction plus sévère), puisque cela dérange les parents d'avoir à se rendre au poste de police afin de venir y chercher leur enfant. De plus, plusieurs agents ont mentionné que le fait de faire venir les parents au poste de police chercher leur adolescent leur fait mieux comprendre que celui-ci a eu un comportement criminel qui doit être traité de la sorte, même s'ils ne portent pas d'accusations ou ne renvoient
pas l'adolescent à des programmes de mesures de rechange : [Traduction] « …lorsqu'un agent désire insister sur une situation, il emmène l'adolescent au poste de police et, lorsqu'il y en a une, à l'unité juvénile, où la mise en liberté ne requiert aucune mesure supplémentaire »
(Dantzker et Mitchell, 1998 : 59). Ces agents sont d'avis que faire venir les parents au poste de police les responsabilise. Ils ont également remarqué qu'il est beaucoup plus facile d'effectuer des renvois vers divers programmes si les parents et l'adolescent sont au poste de police.
Margé le fait que les agents disent essayer d'éviter d'amener au poste un adolescent pour lequel ils ont l'intention de prendre une mesure officieuse, pour quelque raison que ce soit, 27 p. 100 des forces et services de police ont mentionné qu'ils amenaient l'adolescent au poste pour interrogatoire, même s'ils savaient qu'ils allaient traiter l'indicent de manière officieuse. Cette pratique est particulièrement courante en Ontario, et plus particulièrement parmi les services de police municipaux indépendants, plutôt qu'au sein de la PPO. Au Québec, aucun des services de notre échantillon n'a déclaré amener un jeune au poste pour interrogatoire, dans un contexte de mesures officieuses. Cependant, il faut se rappeler que les services de police du Québec que nous avons interrogés mentionnent rarement avoir recours aux avertissements officiels ou officieux.
Enfin, une petite proportion des services de police (6 p. 100) renvoient les jeunes à un programme de déjudiciarisation interne géré par les policiers. Il s'agit de services de police municipaux indépendants. Il vaut sans doute la peine de signaler que les services de police qui desservent les populations autochtones ne sont pas plus et pas moins susceptibles d'avoir recours aux mesures officieuses que les autres services de police.
- [9] Les services de police qui participent au Programme DUC2 changent chaque année puisque de nouvelles forces policières s'y joignent et qu'occasionnellement, un service de police le quitte. Afin d'obtenir des données comparables au fil du temps, nous avons utilisé la base de données sur les tendances du Programme DUC2, qui se limite aux services de police y ayant consigné des données de manière constante de 1995 à 2001. Ce sous-échantillon comporte environ 42 % des incidents consignés et 50 % des adolescents accusés au Canada.
- [10] Avant 1997, on ne faisait pas de distinction entre mesures officieuses et mesures de rechange.
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