Représentation des Autochtones devant les tribunaux de juridiction criminelle au Canada : Étude fondée sur l’indice de taux relatif
1. Introduction
Le Canada abrite trois peuples autochtones distincts, à savoir les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Les peuples autochtones ont été confrontés à de nombreux défis résultant de l’histoire coloniale du pays. Aujourd’hui, ils continuent d’être confrontés au legs de cette histoire, qui a conduit à la marginalisation et à la discrimination systémique dans diverses sphères sociales.
La surreprésentation des Autochtones, tant comme victimes/survivants que comme personnes condamnées dans le système de justice pénale (SJP), est bien documentée (Boyce, 2016; Roy et Marcellus, 2019; Malakieh, 2020). Cependant, il existe d’importantes lacunes dans les renseignements et les données relatifs à la représentation des Autochtones dans certains domaines du SJP, notamment à l’étape de l’intervention policière et des tribunaux de juridiction criminelle.
Cette étude contribue à la littérature existante en fournissant les premières estimations de la représentation des Autochtones parmi les accusés dans les tribunaux de juridiction criminelle canadiens. Ce travail fournit également une indication de la mesure dans laquelle les accusés autochtones subissent des résultats différents et disproportionnés, par rapport aux accusés blancs, à diverses étapes du processus judiciaire pénal canadien. La recherche poursuit quatre objectifs clés : 1) déterminer si le processus judiciaire pénal en tant que tel contribue à la surreprésentation des Autochtones dans le SJP; 2) déterminer le degré de disproportion des résultats judiciaires visant les accusés autochtones par rapport aux résultats visant les accusés blancs aux étapes clés ou aux points de décision du processus judiciaire pénal; 3) déterminer si d’autres variables sociodémographiques (p. ex., le sexe et le groupe d’âge) influent sur le niveau de résultats disproportionnés vécus par les Autochtones aux étapes clés ou aux points de décision du processus judiciaire pénal; 4) déterminer les aspects nécessitant une analyse plus approfondie et l’élaboration de données.
Ce travail a été entrepris dans le cadre de l’engagement du ministère de la Justice du Canada à examiner le SJP et s’inscrit dans les efforts généraux que le Ministère déploie afin de cerner et de pallier les lacunes dans les données qui entravent la prise de décision fondée sur des données probantes. De plus, ce travail vise à donner suite au 30e appel à l’action de la Commission de vérité et réconciliation du Canada de surveiller et d’évaluer les progrès réalisés à l’égard de la question de la surreprésentation des Autochtones dans le SJP, et d’en rendre compte (CVR, 2015a).
Les indices de taux relatifs (ITR) ont été calculés pour comparer les résultats judiciaires dont font l’objet les accusés autochtones à ceux qui visent les accusés blancsNote de bas de page 1 à des étapes clés ou à des points de décision du processus judiciaire pénal. La méthode de l’ITR consiste à comparer le taux auquel un groupe sélectionné (accusés autochtones) est visé par un résultat judiciaire (p. ex., déclaration de culpabilité, peine d’emprisonnement) au taux auquel un groupe de comparaison (accusés blancs) est visé par les mêmes résultats. Pour chaque étape et point de décision, l’ITR fournit une indication de la mesure dans laquelle le taux auquel les accusés autochtones font l’objet d’un résultat judiciaire particulier est supérieur, similaire ou inférieur à celui des accusés blancs.
Cette méthode a été utilisée dans différents pays pour évaluer le niveau disproportionné de contacts des groupes ethniques minoritaires avec le SJP. Par exemple, les États-Unis ont utilisé la méthode de l’ITR pour déterminer et surveiller l’ampleur des contacts disproportionnés des jeunes issus de minorités ethniques avec le système de justice pour les jeunes (Rovner, 2014). Le Royaume-Uni a également utilisé cette méthode récemment pour déterminer l’ampleur des contacts disproportionnés des groupes de minorités ethniques aux étapes clés du SJP (Uhrig, 2016). C’est la première fois que cette méthode est appliquée au SJP canadien.
Enfin, il est important de noter que les ITR n’indiquent que le niveau de représentation à des moments spécifiques du processus judiciaire pénal. Ils ne tiennent pas compte des divers facteurs susceptibles d’expliquer les résultats, tels que les caractéristiques de la personne ou de l’infraction qui peuvent avoir une incidence sur les résultats judiciaires examinés. Par exemple, cette étude n’a pas évalué si les accusés autochtones et les accusés blancs différaient dans les types d’infractions qu’ils avaient prétendument commises, ce qui peut également influer sur la probabilité de faire l’objet d’un résultat judiciaire, tel qu’une condamnation à l’emprisonnement. En outre, les ITR au niveau national ne tiennent pas compte des différences entre les administrations en matière de procédures judiciaires et de normes de communication des résultats judiciaires. Enfin, les ITR ne fournissent pas d’explication sur la raison pour laquelle il y a de la disproportion qui se produit à des étapes spécifiques du processus judiciaire pénal. Pour répondre à ces questions, le rapport réfère à des études existantes qui donnent un aperçu des raisons pouvant justifier les résultats observés. Dans d’autres cas, le rapport présente la nécessité d’entreprendre des études supplémentaires pour mieux comprendre les résultats.
Contexte de la surreprésentation des Autochtones dans le système de justice pénaleNote de bas de page 2
L’objectif de ce rapport n’est pas d’examiner la question de la surreprésentation des Autochtones dans le SJP par rapport à leur représentation dans la population canadienne, mais plutôt de mieux comprendre les résultats différents et disproportionnés pour les accusés autochtones par rapport aux accusés blancs devant les tribunaux de juridiction criminelle. Cependant, il demeure important que les lecteurs comprennent le contexte plus large dans lequel ces résultats disproportionnés peuvent se produire, y compris les facteurs qui ont conduit à la surreprésentation.
Les Autochtones sont surreprésentés dans le SJP canadien, tant comme victimes ou survivants que comme personnes déclarées coupables. Ils sont beaucoup plus susceptibles que les Blancs de se déclarer victimes de violence (Boyce, 2016)Note de bas de page 3. Les Autochtones sont également surreprésentés parmi les victimes et les accusés d’homicide (Roy et Marcellus, 2019). Les données montrent également que les Autochtones sont surreprésentés au sein du système correctionnel par rapport à leur représentation dans la population générale (Malakieh, 2020). Cette question a fait l’objet de multiples commissions, enquêtes, groupes de travailNote de bas de page 4, études universitaires, décisions de la Cour suprêmeNote de bas de page 5, modifications législativesNote de bas de page 6 et programmes sociauxNote de bas de page 7 au cours des dernières décennies.
La surreprésentation des Autochtones dans le SJP est un problème complexe qui ne peut être compris qu’en tenant compte du contexte social dans lequel il se produit. Bien qu’il soit impossible de détailler, dans le cadre de ce rapport, tous les facteurs contextuels qui ont contribué à la situation actuelle de surreprésentation, un certain nombre d’études et d’analyses documentaires ont identifié les causes principales, à savoir l’histoire coloniale du Canada, la marginalisation socioéconomique, la discrimination systémique et les différences culturelles (c’est-à-dire, les cultures et les visions du monde des Autochtones qui diffèrent de la philosophie occidentale du SJP) (Clark, 2019; CRPA, 1996; Rudin, s.d.).
L’histoire coloniale
Le colonialisme est considéré comme l’une des causes sous-jacentes les plus fondamentales de la surreprésentation des Autochtones dans le SJP (CRPA, 1996). L’histoire coloniale du Canada a entraîné une dépossession territoriale, des traumatismes intergénérationnels, une marginalisation socioéconomique, une discrimination systémique et une aliénation culturelle (Chansonneuve, 2005; Clark, 2019; Hansen, 2012; Jackson, 1988; CRPA, 1996; Rudin, s.d.). La mise en œuvre de politiques et de pratiques d’assimilation, telles que le système des pensionnats, le retrait des enfants autochtones de leur famille et les pratiques actuelles de protection de l’enfance, a entraîné la perte des liens familiaux et communautaires. Les impacts intergénérationnels de cette histoire coloniale continuent d’avoir des conséquences profondément négatives sur la vie des Autochtones d’aujourd’hui, qui se traduisent pour certains par des taux élevés de problèmes de santé physique et mentale, de toxicomanie, de déficience cognitive, de violence interpersonnelle, de suicide et de démêlés avec le SJP (Chansonneuve, 2005; Clark, 2019; Ross, s.d.).
Marginalisation socioéconomique
Bien que de nombreuses personnes ayant des démêlés avec le SJP soient confrontées à des niveaux élevés de marginalisation socioéconomique, les Autochtones subissent une marginalisation qui est aggravée par l’impact du colonialisme (CRPA, 1996). Les Autochtones ont un taux de chômage plus élevé et un niveau d’éducation plus faible que les Blancs (Moyser, 2017). La littérature montre également que les Autochtones sont défavorisés quant aux conditions de logement (Statistique Canada, 2017) et aux soins de santé (Clark, 2019). Tous ces facteurs, également connus sous le nom de déterminants sociaux de la criminalitéNote de bas de page 8, ont entraîné des différences de résultats sociaux chez les Autochtones, notamment en limitant leurs opportunités et en les exposant à un risque accru d’être impliqué dans le SJP (Clark, 2019; LaPrairie, 1990; CRPA, 1996; Rudin, s.d.; Wesley-Esquimaux et Smolewski, 2004).
Discrimination systémique
La discrimination systémique au sein du SJP a été identifiée comme un problème grave par la Cour suprême du Canada (R c Gladue, 1999; R c Wells, 2000; R c Ipeelee, 2012) et par diverses commissions et enquêtes. Bien que les données disponibles soient limitées, les conclusions de diverses études ont mis en évidence les répercussions de la discrimination systémique à différentes étapes du système. Dans la plupart des cas, celles-ci ont donné lieu à des résultats différents pour les Autochtones, ce qui a contribué à leur surreprésentation dans le SJP. Par exemple, il a été constaté que les Autochtones font l’objet d’une surveillance policière excessive, c’est-à-dire que la police est plus présente dans les collectivités autochtones que dans les autres collectivités, ce qui fait que les Autochtones sont plus susceptibles d’être arrêtés et accusés (Clark, 2019; Rudin, s.d.). Il a également été constaté qu’ils sont moins protégés dans la mesure où les Autochtones n’ont pas le même accès que les Blancs à l’aide et au soutien de la police en cas de besoin (McGlade, 2010; Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, 2017). Les Autochtones sont également plus susceptibles d’être admis au sein du système correctionnel que les Blancs (Malakieh, 2020). Pendant leur détention, ils passent un temps disproportionné en isolement, sont plus susceptibles d’être considérés comme à haut risque et de se voir refuser la libération conditionnelle (Bureau de l’enquêteur correctionnel du Canada, 2014; ministère de la Justice, 2017a).
Différences culturelles
Les visions occidentales et autochtones de la justice, bien que semblables à certains égards (c’est-à-dire qu’elles comprennent des principes similaires de dissuasion, de dénonciation et de réinsertion), diffèrent dans leur perception des actes répréhensibles ou des préjudices et dans les approches de la justice (Chartrand et Horn, 2016). La justice autochtone se concentre sur les relations, le rétablissement de la paix et l’équilibre au sein de la collectivité, et la réparation des préjudices par la guérison et la réintégration (Chartrand et Horn, 2016; Clark 2019; Commission sur les peuples des Premières Nations et métis et la réforme de la justice, 2004). En comparaison, bien que les approches occidentales puissent inclure des principes de justice réparatrice, elles ont généralement tendance à être moins relationnelles, car les crimes sont considérés comme étant commis contre l’État et non contre les personnes lésées. Ces différents points de vue et concepts de la justice ont entraîné de nouveaux traumatismes et une surreprésentation des Autochtones dans le SJP (Clark, 2019; CRPA, 1996; Rudin, s.d.).
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