Les engagements à ne pas troubler l'ordre public et la violence contre les femmes : une étude de site des effets du projet de Loi C-42 sur la procédure, la demande et l'exécution
5. MÉTHODES ET MESURES D’EFFICACITÉ
- 5.1 Enquête sur les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes
- 5.2 Données des services de police
- 5.3 Entretiens
5. MÉTHODES ET MESURES D’EFFICACITÉ
Le présent projet de recherche utilise diverses méthodes afin de comprendre les pratiques couramment employées par le personnel de justice criminelle dans la gestion des engagements de ne pas troubler l'ordre public, ainsi que les effets du projet de loiC-42 sur les pratiques procédurales et les taux globaux d’ordonnances imposant un engagement et de violations. Il a été décidé, dès le départ, que l'étude se fonderait à la fois sur un examen des sources statistiques officielles et sur des entretiens avec des répondants clés du personnel de justice pénale. La principale source statistique faisant état des tendances nationales en matière d'engagements de ne pas troubler l'ordre public est l'Enquête sur les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes, réalisée par le Centre canadien de la statistique juridique de Statistique Canada. Parmi les autres sources utilisées pour l’élaboration du présent rapport figurent les statistiques de la police régionale de Hamilton, fournies par la Family Violence Resource Unit (Unité de ressources en matière de violence familiale), ainsi que les bases de données des services de police de Winnipeg et Halifax. dans le cas de Winnipeg, nous nous sommes également fondés sur la base de données du Tribunal de la violence familiale de Winnipeg, gérée par Mme Jane Ursel, de l'Université du Manitoba.
Compte tenu des objectifs des modifications apportées à l'article 810 sur les engagements de ne pas troubler l'ordre public, tels que susmentionnés, certaines mesures visant à mesurer le succès du projet de loi C-42 peuvent être élaborées.
Le premier objectif des modifications était d'accroître l'accessibilité desdits engagements et de permettre à une tierce partie de déposer une demande d'engagement au nom des requérants, incapables d'engager cette procédure par peur ou pour d'autres raisons. Un exemple serait celui d'une femme violentée ne souhaitant pas être confrontée à son agresseur. dans ce cas, une travailleuse de refuge, un avocat, un proche ou un policier peut déposer une demande et obtenir l’imposition d'un engagement de ne pas troubler l'ordre public en son nom. Nous pouvons mesurer le succès de ce premier objectif de différentes façons. Il s’agit par exemple, d’examiner si le taux, par habitant, des ordonnances imposant l'engagement de ne pas troubler l'ordre public a augmenté depuis l'adoption du projet de loi C-42 en analysant les données longitudinales de l’ETJCA. Les entretiens avec des témoins privilégiés nous révéleront si les avocats, les policiers et autres professionnels ont connaissance de la possibilité de déposer une demande au nom d’une requérante, si cette opportunité est saisie et, si oui, dans quelle mesure. Naturellement, si les demandes déposées par des tierces parties sont enregistrées dans les systèmes d'information de la police, l'analyse de telles données nous permettra également de savoir si cette possibilité est actuellement exploitée.
Le deuxième objectif des modifications était de fournir aux juges une liste de conditions pouvant être imposées aux défendeurs soumis à un engagement de ne pas troubler l'ordre public. Les données de la police et les entretiens réalisés avec les répondants clés du personnel de justice pénale, notamment les juges, peuvent nous aider à savoir si ces modifications sont connues et si elles ont eu un quelconque impact sur les conditions imposées.
Le dernier objectif du projet de loi C-42 était d’allonger la durée maximale de la peine d'emprisonnement pour violation d'un engagement de ne pas troubler l'ordre public, en la faisant passer de six mois par procédure sommaire à deux ans par mise en accusation. Nous poserons l'hypothèse selon laquelle des peines plus lourdes servent d'élément dissuasif et peuvent réduire le nombre de violations des engagements de ne pas troubler l'ordre public. Les données longitudinales de l’ETJCA en matière de violation peuvent être examinées afin d'observer l'évolution du taux de violation des engagements depuis 1995. De plus, les antécédents criminels des différents contrevenants pour les villes de Halifax et Winnipeg, peuvent nous révéler de façon plus détaillée si un défendeur a été mis en accusation pendant la durée de l'engagement de ne pas troubler l'ordre public ou à l’expiration de celuici.
La Figure 5.0.1 résume les mesures d'efficacité utilisées pour ce projet, en décrivant les objectifs des modifications ainsi que les sources permettant de documenter l'analyse. Cependant, il est important de garder à l'esprit que d'autres données et discussions sont incluses dans le présent rapport. Étant donné qu'il s'agit de la première étude nationale sur les engagements de ne pas troubler l'ordre public menée au Canada, il a été jugé primordial de recueillir certains renseignements qualitatifs supplémentaires, visant à expliquer les résultats de l'étude et les pratiques conventionnelles pour mieux déterminer quel était l'impact de la législation.
Objectif | Mesure d'efficacité | Source |
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1a. Accroître l'accessibilité des engagements de ne pas troubler l'ordre public. |
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ETJCA
Entretiens |
1b. Permettre à une tierce partie de demander un engagement de ne pas troubler l'ordre public au nom d'une personne exposée à un préjudice. |
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Données de la police
Entretiens |
2. Fournir aux juges des exemples concrets des types de conditions pouvant s'appliquer à un engagement de ne pas troubler l'ordre public. |
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Données de la police
Entretiens |
3. Allonger la durée de la peine maximale d'emprisonnement pour violation d'un engagement de ne pas troubler l'ordre public, en la faisant passer de six mois par procédure sommaire à deux ans par mise en accusation. |
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ETJCA
Données de la police Entretiens |
En outre, les recherches effectuées portaient plus particulièrement sur l'impact des modifications sur les femmes victimes de violence. Pour les entretiens, des travailleuses de refuge pour femmes ont été contactées et plusieurs représentants du personnel judiciaire et policier ont fait l'objet de questions ciblées sur les engagements de ne pas troubler l'ordre public dans les cas de violence entre conjoints ou partenaires. Pour les données de la police, nous avons également ciblé les cas de violence intime ou de menaces entre partenaires.
Les soussections suivantes traitent de la façon dont chaque source de données contribue à la fois à évaluer l'efficacité du projet de loiC-42 et à fournir des indications générales relatives aux pratiques couramment employées par le personnel de justice criminelle dans les différentes juridictions canadiennes étudiées.
5.1 Enquête sur les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes
L'Enquête sur les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes (ETJCA) est menée dans le but de recueillir des données sur les décisions prises par les tribunaux dans les affaires criminelles traitées au Canada. Cependant, les données de l'Enquête ne comprennent pas celles de l'ensemble des juridictions canadiennes. La ColombieBritannique, le Manitoba et le NouveauBrunswick n’y figurent pas. On estime que depuis 1994-1995, l'ETJCA couvre environ 80 pour cent des affaires criminelles du Canada. Avant 1994-1995, l'Enquête ne couvrait que 30 pour cent des activités des tribunaux dans seulement quatre provinces et un territoire. Pour cette raison, le présent rapport prend pour point de départ des données issues de l'Enquête 1994-1995. En outre, les données sont recalculées par tranche de habitants sur une base provinciale et nationale, en ne tenant pas compte des provinces ne participant pas à l'Enquête.
Dans la mesure où l'ETJCA a été conçue pour recueillir des données relatives au traitement et aux résultats des accusations criminelles portées devant les tribunaux, certaines juridictions ne signalent aucunement l’imposition d'engagements de ne pas troubler l'ordre public en vertu de l'article 810, car cela ne constitue pas une infraction. Cependant, conformément aux fins de l'Enquête, les juridictions qui signalent de telles ordonnances disposent de «dossiers de cas, d'accusations et de décisions» tant pour l’imposition d’engagements en vertu de l'article 810 que pour les violations prévues à l'article 811. Compte tenu du fait que l'article 810 ne peut donner lieu à une accusation, il est dès lors difficile de comprendre la signification d'un « dossier d'accusation » ouvert au titre de l'article 810 et assorti de la décision «coupable». Doiton en déduire qu'une audience a été tenue en vertu de l'article 810 et que la requérante a obtenu gain de cause ou que l'article 810, dans sa version originale, a été ultérieurement violé et que le prévenu a été condamné en vertu de l'article 811? D'autres domaines donnent lieu à une certaine confusion, par exemple, le nombre démesuré de décisions signalées comme « autre[1] » (cf. Annexe A).
Afin de minimiser l'effet de ces irrégularités de signalement, nous n'incluons que les accusations et mettons l'accent sur deux des mesures les plus tr ansparentes : le nombre total d'accusations (pour l'article 810) et le nombre total de décisions (pour l'article 811). Nous calculons le taux global d’ordonnances rendues sur la base du premier et le taux de violation des décisions prises par les tribunaux sur la base du second.[2]
5.2 Données des services de police
Comme dans la plupart des travaux de recherche, chaque site de collecte de données présentait des problèmes spécifiques. Dans le cas de Hamilton, en raison de facteurs politiques et procéduraux, le service de police a interdit l'accès à sa base de données, à l'issue d'un long processus de réflexion. Pour Halifax, la recherche des données des services de police relatives aux engagements de ne pas troubler l'ordre public s'est révélée un processus plus long que prévu, dans la mesure où les systèmes de signalement sont conçus à des fins administratives et ne facilitent donc pas les travaux de recherche en sciences sociales. La base de données de la police de Winnipeg ne pouvait être utilisée que par le personnel de recherche du Manitoba, lequel avait préalablement recueilli des renseignements auprès des services de police pour les introduire dans une base de données de recherche à caractère fonctionnel, plus connue sous le nom de base de données du Tribunal de la violence familiale de Winnipeg. Cette dernière base de données a été utilisée afin d'obtenir les noms qui allaient, par la suite, être retracés dans le système de renseignements de la police. Néanmoins, il s'est avéré en fin de compte que les différents services de police ont été en mesure de fournir à l'équipe de recherche de précieux renseignements.
5.2.1 Halifax
Afin de repérer les engagements de ne pas troubler l'ordre public niveau de la police régionale de Halifax, les cas signalés comme « engagements privés » sur les « fenêtres d’alerte »[3]ont dû être recoupés avec les cas « familiaux » de l'unité de services d'aide aux victimes. On a découvert que le nombre de cas susceptibles d'être liés à un incident de violence familiale était largement supérieur au nombre enregistré par les services d'aide aux victimes. Par conséquent, le chercheur de la police de Halifax a dû re-saisir le numéro de signalement de l'incident à partir de la fenêtre d’alerte afin d'accéder à la description effective de l'incident et déterminer la relation existant entre la requérante et le défendeur.
Lorsque les engagements de ne pas troubler l'ordre public arrivent à échéance, ils sont retirés des «fenêtres d’alerte». Pour cette raison, seuls les cas datant de 1998 et des années suivantes ont pu être utilisés. Ces cas ont ensuite été saisis sur une fiche de collecte de données. Au total, 233 cas ont été retenus à partir du système de renseignements de la police de Halifax. Sur ce total, 84 (c'est à dire 36 pour cent) étaient liés à des incidents de violence conjugale (ou intime).
5.2.2 Hamilton
Comme indiqué précédemment, la police de Hamilton a finalement refusé aux chercheurs l'accès à la base de données. Préalablement à cette décision, la Family Violence Resource Unit nous avait fourni des données internes sur les engagements de ne pas troubler l'ordre public. Il s'agit de statistiques sommaires mensuelles relatives aux voies de fait dans le cadre conjugal et montrant les décisions de justice prises en la matière, notamment les ordonnances imposant l’engagement de ne pas troubler l'ordre public. Cependant, s ans identification des défendeurs et s ans fiche de collecte des données dûment remplie, il était impossible d'élaborer une base de données de recherche pour Hamilton.
Présumant que les données issues des dossiers de police allaient lui parvenir, un chercheur avait déjà commencé les entretiens avec les répondants de Hamilton et de l'Ontario. Ces entretiens constituent la principale source de renseignements pour Hamilton.
5.2.3 Winnipeg
Les données relatives à Winnipeg émanent du Tribunal de la violence familiale de Winnipeg. Leur collecte a été confiée à Jane Ursel, de l'Université du Manitoba.
Dans la mesure où les données du Tribunal de la violence familiale de Winnipeg n'incluaient pas certains renseignements, il a fallu accéder au système de renseignements de la police de Winnipeg. Ces renseignements (numéro matricule et date de naissance des défendeurs) étaient nécessaires pour effectuer l'autre partie de l'analyse–remplir les fiches de collecte des données avant de les envoyer à la Gendarmerie royale du Canada pour que cette dernière recherche les défendeurs.
La base de données du Tribunal de la violence familiale de Winnipeg répertoriait 340 ordonnances imposant l'engagement de ne pas troubler l'ordre public entre 1992 et 1997. Puisque tous les cas provenaient, à l'origine, de la base de données du Tribunal de la violence familiale de Winnipeg, les données relatives aux engagements de ne pas troubler l'ordre public à Winnipeg sont considérées comme étant liées à la violence familiale.
5.2.4 Centre d'information de la police canadienne
Le Centre d'information de la police canadienne (CIPC) de la Gendarmerie royale du Canada recueille les dossiers relatifs aux accusations et aux décisions de justice pour tout le territoire canadien. Ces dossiers sont fournis par les forces de police. Presque tous les services de police du Canada disposent désormais de terminaux d'accès embarqués ou de radio-dispatching reliés au CIPC et permettant de vérifier les antécédents des suspects ou de chercher les mandats d'arrêt en cours.
Une fois remplies, les fiches de collecte de données pour Halifax et Winnipeg ont été envoyées au CIPC, à Ottawa, pour que les antécédents des défendeurs de ces deux villes soumis à un engagement de ne pas troubler l'ordre public fassent l'objet d'une vérification. Les données du CIPC ont ensuite été versées au dossier de cas de chaque défendeur. Enfin, les informations figurant sur la fiche de collecte des données et celles provenant du CIPC ont été versés à un fichier de données SPSS (Statistical Package for the Social Sciences).
La combinaison des données provenant de la police locale et fédérale permet de déterminer si les défendeurs ont commis une infraction alors qu’ils étaient soumis à un engagement de ne pas troubler l'ordre public et la date à laquelle cette infraction a été commise. Nous pouvons ainsi calculer un taux de violation individuel, différent de celui obtenu par traitement des données judiciaires provenant des statistiques de l’ETJCA. Au lieu de nous fonder sur des accusations cumulées provenant des tribunaux et ne permettant d'établir aucun lien avec une personne en particulier, nous pouvons maintenant calculer des taux de violation sur une base individuelle.
5.3 Entretiens
Au total, nous avons réalisé 26 entretiens aux fins du présent rapport. Ils ont été effectués, par téléphone, auprès de huit participants de l'Ontario (n=8), onze participants de Nouvelle Écosse (n=11) et sept du Manitoba (n=7). Sept répondants étaient magistrats, juges de paix ou juges, six avocats ou procureurs de la Couronne, sept policiers et six travailleuses de refuge. Un plus grand nombre de personnes ont été contactées en tout début de projet, mais certains répondants potentiels n'ont finalement pas été retenus, en raison d'une trop faible connaissance des engagements de ne pas troubler l'ordre public prévus par le Code criminel, ce qui a porté le nombre définitif de répondants à 26. Nous avons essayé de cibler nos entretiens sur la ville où les recherches se sont déroulées : Halifax, Hamilton et Winnipeg. Néanmoins, dans certains cas, des répondants clés étaient situés en dehors de ces villes, mais au sein de leurs provinces respectives. Ainsi, les données issues des entretiens ne reflètent pas la situation dans l’ensemble du Canada, mais dans les sites spécifiquement étudiés.
Les questions posées variaient en fonction du répondant. Alors qu'un certain nombre de questions de base étaient posées à l'ensemble des personnes interrogées, le mode d’entretien était différent pour les juges, les avocats, les policiers, les travailleuses de refuge et les juges de paix, en raison d'expériences et d'approches institutionnelles et professionnelles diverses (cf. Annexe B). Les répondants ont été invités à s'exprimer sur l'utilisation, l'exécution et les modalités des engagements de ne pas troubler l'ordre public, tout particulièrement dans les cas de violence intime ou de menaces entre partenaires. Des questions spécifiques concernant les modifications apportées par le projet de loiC-42 ont été posées et, plus particulièrement, sur le recours aux demandes par des tierces parties ainsi que sur la procédure à suivre et l'utilité des engagements de ne pas troubler l'ordre public dans des situations de violence intime ou conjugale.
Les entretiens se sont révélés être une source précieuse de renseignements. Les interprétations institutionnelles du droit et l'application pratique des procédures juridiques constituent les réels facteurs déterminants de l'accessibilité, de l'exécution et de l'efficacité globale des engagements de ne pas troubler l'ordre public
- [1] Le Centre canadien de la statistique juridique (CCSJ) mène actuellement une vérification afin d'évaluer la manière dont les juridictions participant à l'Enquête communiquent leurs données relatives aux engagements de ne pas troubler l'ordre public. Cependant, les résultats de cette initiative ne sont pas disponibles à l'heure où le présent rapport est rédigé.
- [2] Sur la base de discussions avec le gestionnaire d'enquête du Centre canadien de la statistique juridique, nous partons du principe que les accusations signalées sur une base annuelle constituent des renseignements plus fiables que les cas individuels pour notre analyse et que les seules décisions fiables sont celles de la catégorie «coupable» aux chefs d'accusation découlant de l'article 811.
- [3] Une «fenêtre d’alerte» apparaît pour prévenir les policiers de Halifax d'un mandat d'arrêt ou d'un engagement en cours, lorsque le nom d'un suspect est saisi dans le système de renseignements.
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